The Revenant d’Alejandro Inarritu : immersion et vengeance

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The Revenant d’Alejandro Inarritu s’inscrit dans cette lignée de films hollywoodiens tirant partie des évolutions technologiques pour nous immerger toujours davantage dans leurs images. Ce n’est pas l’immersion que l’on ressentait quand, fasciné par certains films classiques, on entrait volontairement dans le monde du film. C’est une immersion subie où le spectateur est assailli par l’hyperréalisme des images. A cet égard, l’homme clé de The Revenant, c’est son chef opérateur, Emmanuel Lubezki. Utilisant la nouvelle caméra Alexa 65 (65mm, qui filme en 6,5K), qui permet une image à la définition étonnante et une profondeur de champ vraiment exceptionnelle (cette profondeur de champ que le cinéma avait un peu perdu lors du passage du noir et blanc à la couleur), Lubezki filme en grand angle les paysages enneigés de la Colombie-Britannique et de l’Alberta au Canada (lieu du tournage du film), déformant quelque peu les visages, mais intégrant ses personnages dans l’immensité d’une nature hostile. Au début du film, lors de l’attaque du campement par les indiens Arikari, sa caméra très mobile est placée au plus près des personnages. Le spectateur se retrouve ainsi secoué et immergé au sein de l’action, saisi par l’attaque des indiens Arikari, effrayé par celle du Grizzli, impressionné surtout par cette profondeur de champ qui lui donne le sentiment que le fond du cadre se poursuit sans fin. Cet hyperréalisme est un des futurs possibles du cinéma. De plus en plus, on aura l’impression d’y être, pour le meilleur et pour le pire, le pire arrivant quand l’assaut sensoriel des images nous empêche de penser ou nous contraint à regarder le film d’un point de vue extérieur afin d’échapper à cette immersion forcée.

Cela étant posé, que raconte The Revenant ? Une histoire qui émet pour l’essentiel une note unique (l’impression d’une note unique, c’était déjà celle que l’on ressentait devant Birdman du même Inarritu). C’est un film sur la survie, un film de vengeance, adaptant à nouveau (après Le Convoi Sauvage de Sarafian) l’histoire semi-légendaire du trappeur Hugh Glass, laissé pour mort après une attaque de Grizzli en 1823 dans le Dakota du Sud, mais qui parvint après une odyssée de 300 kilomètres à rattraper Fitzgerald, l’homme qui l’avait abandonné en lui volant son fusil. L’histoire originelle était celle d’une survie et montrait l’importance d’un fusil pour les américains ayant défriché un Nouveau Monde hostile – importance qui continue d’expliquer aujourd’hui leur attachement au port d’armes. Inarritu approche ce récit avec l’ambition de lui conférer en plus une dimension spirituelle et de parler de la société américaine. Ainsi, il imagine que Glass était le veuf d’une indienne assassinée par l’armée, le père d’un jeune métis indien tué par un Fitzgerald raciste, et un homme capable de dialoguer avec le monde de la nature et le monde des morts. Il insère également dans son récit des rêves et des visions de Glass, en empruntant plusieurs motifs visuels à Tarkovski (la femme qui lévite, l’église abandonnée) et à Malick (les contreplongées vers les fûts des arbres notamment). Au Kurosawa de Dersou Ouzala, il reprend la scène de la tempête où un indien fabrique un abri de fortune pour Glass. Mais ces emprunts restent de surface. Peut-être parce qu’Inarritu ne parvient pas à transcender ces influences éparses pour les fondre dans le creuset d’un style visuel qui lui serait propre (l’influence de Lubezki sur le film est si prégnante que l’on croit retrouver dans certains plans flottants des compositions visuelles du Nouveau Monde de Malick), plus probablement parce que ces inserts visuels (trop rapides pour susciter une émotion ou une atmosphère) interviennent dans le cadre d’un film à grand spectacle à l’intrigue linéaire et horizontale (Glass survit pour se venger de Fitzgerald), ces scènes peinent à émouvoir et à ajouter au film cette dimension supplémentaire que recherchait Inarritu. Elles semblent avoir été greffées artificiellement sur le tronc de la narration du film. C’est lorsque The Revenant dévie vraiment (ce qui est trop rare) de sa trajectoire de film de vengeance qu’il intéresse davantage et trouve un ton différent, ainsi de cette belle apparition d’un troupeau de bisons ou des scènes entre Glass et cet indien errant qu’il rencontre. Leur amitié naissante apporte enfin une chaleur humaine à un récit qui en manque et l’on regrette la disparition soudaine de cet ami indien aux sages paroles. Car ensuite, le film retrouve son caractère exclusif de récit de survie aux péripéties violentes, jusqu’au combat final et inutilement sanglant entre Glass et Fitzgerald au tomahawk et au couteau, à l’issue duquel on est comme Glass, envahi par un sentiment de « tout ça pour ça ». Le caractère tétanisant des scènes d’action du film annihile souvent les émotions qu’il sollicite chez nous.

The Revenant est un film qui contient des plans à la lumière cristalline où les paysages sont embrassés dans leurs vastes dimensions, mais qui laisse des impressions éphémères, des impressions d’instant qui commencent déjà à s’estomper en moi, et qui ne « reviendront » pas. Selon ce que l’on cherche, on pourra s’en contenter et saluer un survival réussi, servi par des comédiens (Di Caprio tout en grognements et contractions du visage, Tom Hardy avec plus de finesse) qui apportent au film une intensité supplémentaire, ou avoir envie, comme moi, de revoir Jeremiah Johnson de Sidney Pollack ou Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa, ce chant du monde qui se passe en Sibérie.

Strum

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17 commentaires pour The Revenant d’Alejandro Inarritu : immersion et vengeance

  1. princecranoir dit :

    Il ne partait pas gagnant dans mon estime, c’est peut-être pour cette raison qu’il m’a plus agréablement surpris que toi. Autrement plus réussi que l’antipathique « Birdman » (Inarritu remet un peu de grammaire dans son cinéma), il l’est à mes yeux un peu plus que ce que ne veulent prétendre les apartés spiritualistes louchant sur Tarkovski. Comme tu le soulignes très bien, l’intérêt de « the revenant » ne tient pas à ces visions mais davantage au discours que le Mexicain tient sur ce pays qu’il observe en tant que voisin. S’il fait de Glass le père d’un sang-mêlé, ce n’est pas pour rien, et l’orientation que prend l’opinion publique aux Etats-Unis n’est sans doute pas pour le rassurer sur ce point. La question de l’altérité, de la voie à suivre, de la place de l’homme dans l’environnement, sont au cœur d’un film plus méditatif que véritablement mystique.

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    • Strum dit :

      Je pense que tu as raison princécranoir, s’agissant des intentions d’Inarritu : son ajout d’un fils métis assassiné n’est pas innocent et il avait probablement l’ambition de parler des Etats-Unis par ce biais, mais cela est occulté par le caractère spectaculaire du film, qui fait que je ne parlerais pas comme toi d’un film « méditatif ».

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      • princecranoir dit :

        C’est que pour moi, méditation n’est pas nécessairement contemplation (je sors tout juste de « Knight of cups », le parallèle entre les deux films est à ce titre fascinant), car si le récit est mû par une soif d’action, il n’est pas pour autant dépourvu d’une part de réflexion, y compris dans son acte final.

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  2. Cédric dit :

    Merci pour cette critique que je m’attendais à lire ici.
    Ce film me tente, mais il me gêne également, ce même avant de l’avoir vu. C’est que ces tournages immersifs, ces prouesses techniques et les images superbes servent malheureusement une histoire de vengeance, à nouveau, où la violence est le cœur de l’intrigue.
    Cela dit, probable que j’aille le voir tout de même, on en reparle si c’est le cas 😉

    A bientôt !
    Cédric.

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    • Strum dit :

      Hello Cédric,

      Je te conseille quand même d’aller voir le film. Visuellement, c’est à voir, et on n’est pas chez Tarantino, il n’y a pas de jouissance ou de complaisance trop dérangeante vis-à-vis de la violence dans le film.

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  3. modrone dit :

    J’aurais préféré que le film colle davantage au récit de Michael Punke que j’ai lu l’an dernier. Trop de rajouts à mon avis. Fils métissé, incursions fantastiques, chasse à l’homme interminable, Trop de coutures et de gros plans, trop de pré-oscarisation, trop de minutes,147. La vengeance, pourquoi pas mais je l’aurais aimé sobre. Bonne journée et à bientôt.

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  4. Martin dit :

    Pas tout à fait convaincu par le film, moi, même si je me suis régalé de ces images ! Je trouve finalement que la caméra colle beaucoup trop aux grimaces de Leo. Je crois que j’aurais préféré un film plus tellurique, où la nature joue une plus grande importance. Ici, elle est bien sûr décisive pour enquiquiner le personnage principal, mais je trouve finalement qu’elle est trop vite réduite au rang de (magnifique) décor. J’aurais bien aimé que le reste de la troupe bataille plus ostensiblement contre elle.

    Bon. En fait, ce sont les passages oniriques qui m’ont le moins convaincu, je crois. Je retiens quand même, au bénéfice du film, une sacrée prestation de Leo et, à mes yeux, un jeu plus malin encore de Tom Hardy. Respect pour toute l’équipe, techniciens compris, pour être allé tourner dans des conditions pareilles ! Je suis loin d’avoir détesté le film, mais je crois qu’il aurait pu être plus marquant en d’autres mains. C’est peut-être un peu injuste exprimé ainsi…

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  5. 2flicsamiami dit :

    Comme j’ai pu l’écrire chez Prince, c’est un film qui s’écoule lentement pour délivrer une expérience (qui convoque Malick et bien d’autres que tu cites) d’une expérience. Il est sidérant par son décor, son filmage et ses performances (bien que l’on est déjà vu tout cela ailleurs), mais comme tu le soulignes justement, il lui manque cette trace d’émotion pour réellement le hisser au sommet. Comme toi, je pense que le dispositif (le plan séquence donne parfois l’impression d’être sur un rail d’une attraction foraine) n’est pas étranger à ce ressentit.

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  6. Strum dit :

    A eeguab : Effectivement, c’est un film long ; cela étant, je n’ai pas vu passer les 2h30. Je n’ai pas lu le livre de Punke.

    A Martin : Je te conseille de voir le sublime Dersou Ouzala de Kurosawa, qui pourrait répondre davantage à tes attentes.

    A 2flics : Oui, les émotions que l’on ressent devant un film dérivent souvent de la mise en scène, et ici l’influence de Lubezki sur les choix de mise en scène est très forte.

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  7. Benjamin dit :

    Quand tu parles d’hyperréalisme et « de plus en plus, de l’impression d’y être » ça me ramène à la même influence depuis plus de quinze ans sur le cinéma, l’effet Soldat Ryan, une sorte de « va que je te colle dans la boue » qui m’a toujours déplu en Histoire (et de laquelle quelques super-héros et une autre tendance hollywoodienne essayent me semble-t-il de sortir). Sauf que Inarritu et Lubezki mêlent la chose à une mystique (la double invocation Tarkovski – Malick) et tirent aussi l’ensemble vers une approche contemplative qui me séduisent.

    J’ai aussi eu envie de revoir Jeremiah Johnson après celui-ci.

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    • Strum dit :

      Effectivement, Inarritu et Lubezki essaient d’ajouter au film une dimension mystique ou spirituelle. Malheureusement, je n’ai rien ressenti devant les images de rêves de Glass. J’y ai vu des motifs visuels de surface empruntés à Tarkovski et Malick, mais sans substance car ces images sont trop rapides et éparses. J’ai commencé à ressentir quelque chose quand Glass rencontre l’indien, malheureusement, ce dernier disparait trop vite. J’ai du mal à ressentir un sentiment de contemplation par à-coups (la contemplation par à-coups, ce n’est plus la contemplation), et les scènes d’action impressionnantes, et donc tétanisantes de The Revenant neutralisent chez moi tout sentiment de contemplation car elles appartient à un autre régime, et sont d’une autre nature, que ceux de la contemplation. C’est difficile de jouer sur plusieurs tableaux comme Inarritu a essayé de le faire ici, même si on ne peut nier son ambition.

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  8. homerwell dit :

    Les ruptures de tons ne sont pas facile à gérer mais elles sont salutaires pour moi, pour arriver à rythmer le film.
    Commentaire de celui qui n’a pas encore vu The Revenant…

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  9. Comme tu le dis, il s’agit bien d’un « assaut des images », et c’est ça qui empêche l’émotion de naître. Inarritu est tellement obsédé par l’idée de créer de l’immersion qu’il en oublie son histoire (une histoire de vengeance un peu simplette, certes, mais qui aurait pu être beaucoup mieux exploitée).

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    • Strum dit :

      Bonsoir Émilie, oui c’est cet assaut d’images qui a formé un barrage entre moi et le personnage de Glass (pas toujours bien servi par le jeu monocorde de Di Caprio), d’où le peu d’emotions que j’ai ressenties.

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  10. tinalakiller dit :

    D’habitude je déteste le films d’Inarritu. Je ne dis pas que j’ai tout aimé, il y a effectivement des choix discutables. Leo aurait pu avoir l’Oscar pour un autre film, c’est un peu long et on sent vraiment l’influence de Malick. Mais étonnamment, j’ai quand même apprécié ce film : ça tient du miracle en ce qui me concerne !

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    • Strum dit :

      Bonjour Tina, on sent beaucoup d’influences dans ce film, chacun (Di Caprio, Inarritu, et surtout le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki, le même que Malick, à qui The Revenant doit beaucoup) appuyant ses effets.

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