Cartouche de Philippe de Broca : aventures et Memento Mori

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D’emblée, le titre nous avertit de la nature duale de Cartouche (1962) de Philippe de Broca : une cartouche, cela explose, cela produit des étincelles, mais cela tue aussi. Voilà un film placé sous la double tutelle de la mort et du divertissement. D’un point de vue structurel, la tutelle est reflétée par un encadrement narratif, à l’image d’un encadrement de tableau : le film s’ouvre sur le supplice de la roue (un homme va mourir, battu par un bourreau rouge) et se ferme sur un enterrement aux flambeaux. Au milieu, on trouve du mouvement, des couleurs, de la gaieté, des cavalcades et des cascades, le tout emmené par un Jean-Paul Belmondo en pleine forme dans le rôle-titre. Et puis, il y a cette inoubliable musique de Georges Delerue (un de ces compositeurs de musique capables par leur sensibilité de révéler la véritable nature d’un film). Elle aussi dédouble le film, comme les côtés d’une pièce : on a d’un côté, le morceau titre, plein d’allant et de panache et de l’autre « Au revoir, mon amour », un adagio superbe de vingt notes se répétant, marche funèbre et mélancolique. Tout est ici miroir et doublure, et c’est un film où les ombres sont légions, comme si certaines scènes étaient filmées dans un tombeau. Les plans de Christian Matras emplissent les plans de divers détails, selon sa manière, mais De Broca ne se fait pas ici illustrateur (nous sommes fort éloignés des films de cape et d’épée avec Jean Marais de la même époque). Le réalisme n’est pas son propos, et son héros bondissant n’a que peu à voir avec ce que l’on sait du véritable Louis Dominique Cartouche, ce terrible chef de bande qui sévissait sous la Régence de Philippe d’Orléans et fut exécuté Place de Grêve.

Cartouche fait l’effet d’un film cherchant par le mouvement et l’esprit d’aventure à se libérer d’un sentiment caché d’angoisse ou d’inéluctabilité (mouvement propre à plusieurs films de de Broca, on se souvient de l’éloge de la folie du Roi de Coeur – d’ailleurs, on retrouve ici Daniel Boulanger au scénario), et où ce qui relève de l’aventure et du picaresque (qui suffirait à notre bonheur) tend à dissimuler le canevas mélancolique sur lequel il repose. Lors de ce prologue assez noir où la foule et les nobles se réjouissent de concert (bien qu’un monde les sépare) du supplice à venir, on pense qu’il ne s’agit que d’introduire le personnage et sa némésis avant de passer aux choses sérieuses, à l’aventure promise par l’affiche, à Cartouche devenant brigand à la Cour des miracles avec ses fidèles La Taupe (Jean Rochefort dont l’inimitable flegme fait merveille) et La Douceur (Jess Hahn en substitut du Porthos de Dumas), puis voleur de grand chemin rencontrant la belle Venus (Claudia Cardinale, apparition boticellienne), mais non, pas du tout, le dernier tiers du film fait retomber le héros sous la coupe de la mort, comme s’il avait rêvé toutes ces aventures. La séquence nocturne du carrosse s’enfonçant dans l’eau est une pure vision onirique ; et que dire de ce plan où Cartouche aperçoit Venus dans un miroir, comme une apparition de princesse des mille et une nuits ? Ce rêve ne lui aura apporté que le souvenir d’un être aimé puis perdu.

C’est la main de Cartouche qui dit la transformation subie par le personnage. Au début, cette main vole avec assurance et enjouement (premiers plans), innocemment pourrait-on dire ; à la fin, elle se déleste de l’or volé presqu’en tremblant, car que vaut l’or face à l’amour et la mort ? N’oublie pas que tu dois aimer, n’oublie pas que tu vas mourir : ce film est un Memento Mori ayant du panache. Cartouche porte au revers de son pourpoing picaresque une mélancolie profonde où le tragique surgit soudain, sans crier gare, de derrière les coulisses du spectacle et du rêve.

Strum

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10 commentaires pour Cartouche de Philippe de Broca : aventures et Memento Mori

  1. princecranoir dit :

    Tu sublimes l’esprit d’un film qui s’est présenté sur mon parcours cinéphile il y a bien trop longtemps pour que j’en garde un souvenir suffisamment prégnant. Heureusement, ton texte réveille l’ombre de la Taupe Rochefort et la gracieuse silhouette de notre Cardinale, ces deux héros aux patronymes dumassiens ne pouvaient mieux trouver leur place entre la cape et l’épée, et bien sûr celui du vibrionnant Cartouche, Robin des rues rhabillé par la plume légère de Broca. « Cartouche » c’est Bébel et la Belle, et c’est Magnifique.

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    • Strum dit :

      Hello. Bébel et la Belle, oui. Cela dit, Belmondo reste sobre ici et en fait moins que dans Le Magnifique – film très sympathique et amusant, et madeleine télévisuelle, mais qui s’essouffle un peu sur la fin et ne possède pas l’émotion ni la double nature d’un Cartouche.

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  2. Bonsoir Strum
    Merci pour ce beau texte sur une autre grande réussite du tandem De Broca-Boulanger. Cartouche est pour moi le meilleur film de cape et d’épée français, mais en est ce vraiment un ?
    Cette puissance nocturne et cette présence de la mort irriguent en effet le film qui est comme un diamant noir et funèbre. Je me permets de vous lancer sur la piste du Phalanstère, cher à l’auteur Daniel Boulanger, et de vous glisser ici même ces quelques lignes pour vous inciter à lire Boulanger.

    Communauté idéale de l’avenir, selon Charles Fourier, son inventeur, le Phalanstère a vite perdu son sens d’origine pour devenir plus simplement la maison de vacances, le refuge, l’asile, l’endroit où on vit en communauté. « Le phalanstère était une maison d’un quai de Corbeil que l’on avait louée à plusieurs pour y passer l’été » Ainsi parle Rachilde qui avec son mari Alfred Valette, Alfred Jarry et des amis séjournérent à Corbeil dés l’été 1898.
    Dés le Gouverneur Polygame, Daniel Boulanger place ses personnages dans un de ces endroits en marge de la société et à l’abri du monde.
    Boulanger aime recréer l’atmosphère chaleureuse et protectrice de ces communautés qui sont aussi le foyer des rêves, des délires et de l’imagination. Les lieux clos permettent au rêves et aux chimères, à la poésie et à l’amitié de se développer en toute liberté car les personnages de Boulanger sont à la recherche d’une famille « d’adoption », d’un clan, d’une communauté, bref, d’un bonheur perdu. Ils ont besoin d’être entourés, d’appartenir à un groupe. Ils ont aussi besoin d’un public, d’un auditoire.
    C’est l’hôtel particulier du Gouverneur Polygame et son cénacle de jolies femmes. C’est la troupe d’acteurs vivant en tournée comme dans un vase clos de La Rose et le Reflet. C’est aussi la communauté de « hippies » dans laquelle Charles Sénévé trouve abri et joie de vivre (Mes Coquins). C’est encore la boîte de nuit Le Poulpe et la Proue qui constitue le principal décor des personnages de la Confession d’Omer. C’est l’académie de savants réunie dans un hôtel de Marseille tenant colloque en huis-clos (Le Retable Wasserfall). C’est encore la compagnie de personnages farfelus qui gravitent autour du château de la Baronne Héraldine ( Tombeau d’Héraldine).
    Mais c’est aussi parfois le village ou la ville toute entière qui devient un phalanstère géant.La population forme une communauté où tout le monde se connait. Ainsi des habitant de Nocquöy (Jules Bouc) et de Ursacq, sans oublier la population de Talbard et de Saint Bastin (Caporal Supérieur) Ces villages composent, souvent, une grand famille. Du moins, en incorrigible nostalgique, c’est ce qu’il voudrait nous faire croire.
    Ce thème de la communauté est aussi présent dans les films écrits par Boulanger . Souvenons-nous de Cartouche et sa bande vivant dans leur repaire, mais aussi le village d’Angevine dans « les Caprices de Marie », le château de « le Diable par la Queue » sans oublier l’asile de fous du « Roi de Coeur » et le chateau de Kerfadec dans « Chouans ! ».

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  3. Strum dit :

    Bonjour Jean-Sylvain, et merci une fois de plus pour ces intéressants développements sur Boulanger (il y a du phalanstère dans le repaire de Cartouche et sa bande en effet), que j’ai toujours l’intention de découvrir via Les Noces de Merle que vous m’aviez conseillé (mais si les journées pouvaient faire 30 heures, cela m’arrangerait !).

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  4. Nous en sommes tous là, hélas. Nietzsche avait une jolie formule, il disait que les journées n’avaient pas assez de poches.

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  5. modrone dit :

    L’un des quatre ou cinq films que j’ai le plus vus, au moins sept fois. Le bondissant et si pimpant duo Belmondo De Broca fait des merveilles.Un très bon « cape et épée », mais bien au delà un chant du cygne, un crépuscule inoubliable, et un ton qui bascule de la truculence à la gravité et à la mort et « Qu’elle vienne vite ». Cardinale esmeraldesque et si fraîche et les seconds rôles formidables, Rochefort, Dalio, Hahn. Il passe tous les six mois à la TV Il est rare que je le manque.

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    • Strum dit :

      Tout à fait, Venus a un côté Esmeralda ici. La tragédie frappe comme un couperet, de manière inattendue. Et puis, il y a cette musique sublime de Delerue qui fait tellement pour le film (ah, cet adagio…)

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  6. Martin dit :

    Hello Strum. C’est incontestablement un film que j’aime beaucoup.
    Pas grand chose à ajouter, si ce n’est pour te remercier d’en avoir parlé

    La meilleure preuve que la belle Claudia n’a pas besoin d’être photoshopée.

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