I comme Icare de Henri Verneuil : thriller politique et complot

Image associée

On peut à nouveau voir I comme Icare (1979) depuis sa sortie en édition DVD-bluray en août 2017. Comme cela arrive parfois, le film a gagné le temps de sa relative invisibilité une réputation flatteuse. Est-ce la raison pour laquelle j’ai éprouvé une certaine déception en le découvrant ? Il s’agit d’un projet longtemps couvé par Henri Verneuil qui s’était passionné pour l’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963, dont le film s’inspire librement. Co-auteur du scénario avec Didier Decoin (qui restera toujours pour moi l’homme qui décida de finir sa calamiteuse adaptation télévisuelle du Comte de Monte-Cristo de Dumas par d’absurdes retrouvailles amoureuses entre Dantès et Mercédès), Verneuil transpose son intrigue dans un pays indéterminé qui pourrait être n’importe quelle démocratie occidentale (bien que les Etats-Unis soient indirectement désignés), tout en conservant divers éléments mis en lumière par les enquêtes conduites par le procureur Jim Garrison (héros du J.F.K. de Stone) et le House Select Committee on Assassinations (qui rendit son rapport en 1979, année de la sortie du film). L’enquête du procureur Henri Volney (Yves Montand, impeccable comme souvent) sur l’assassinat du Président Marc Jarry débouche ainsi sur une série de révélations familières : première enquête baclée, présence de deux tireurs, homme au parapluie, film amateur de Zapruder, disparition des témoins, etc.

Le film baigne dans une atmosphère figée et étrange, accentuée par un environnement urbain froid et silencieux (Cergy-Pontoise est filmée comme un espace vide) et l’absence de personnages autres que les enquêteurs et ceux qui sont impliqués dans l’affaire – pour le film comme pour Volney, seule compte l’enquête. Mais bien que les tours encerclant Volney et son équipe prennent parfois une allure menaçante, l’imagerie utilisée par Verneuil ne possède, pour rester dans les univers mutiques où l’environnement joue un rôle, ni la qualité fantasmagorique qui s’attachait aux immeubles de The Offence de Lumet et contribuait à son atmosphère épaisse, ni la rigueur formelle qui faisait surgir du Cercle Rouge et de l’Armée des Ombres de Melville le sentiment d’un monde tragique. On en reste ici à une enquête procédurale et linéaire où la mise en scène certes efficace de Verneuil annonce plus d’une fois, par une espèce de souci pédagogique insistant, ce qui va se passer (on ne compte plus le nombre de fois où Volney passe devant une baie vitrée à découvert, faisant de lui une cible idéale). Les décors ne sont ici que cela : un arrière-plan neutre qui sert d’assise à la fiction selon laquelle ce film pourrait se passer dans n’importe quelle démocratie occidentale. Il y gagne peut-être en clarté et en signification (c’est un film à thèse), mais y perd quelque chose de cinématographique, ce quelque chose qui rendait plus vivants et donc plus crédibles les grands thrillers politiques américains des années 1970 (Les Trois jours du Condor de Pollack, Les Hommes du président de Pakula)

C’est donc davantage dans le propos du film que résiderait son ambition, qui entend relier deux choses que l’on peut trouvez assez différentes : d’une part, l’idée d’un complot d’Etat fomenté par les services secrets et visant à abattre un Président ayant décidé de nettoyer les écuries d’Augias (parmi les secrets à cacher : les coups d’Etat orchestrés en Amérique du Sud – on pense évidemment au Chili d’Allende), d’autre part, les expériences réalisées par Milgram à Yale aux débuts des années 1960. On connait le principe de ces dernières : il s’agissait, pour mieux comprendre les crimes contre l’humanité commis pendant la seconde guerre mondiale, de mesurer le niveau d’obéissance d’un individu face à une autorité l’intimant de torturer un homme. Une longue portion du récit est consacrée à la reconstitution de cette expérience qui n’a que peu de rapport en vérité avec l’enquête menée par Volney. C’est pourtant ce qui a nourri la postérité du film. Curieux paradoxe car si la scène fait effectivement froid dans le dos, ce lien ainsi créé entre l’assassinat du Président et les processus de soumission à l’autorité apparaît artificiel pour ne pas dire forcé sur le plan narratif. Et curieuse impression de voir un film qui à force de surligner par voie de démonstration la thèse du complot perd en pouvoir de suggestion alors même qu’il est par nature théâtre d’ombres. C’est dommage car la fin du film est réussie et réhausse in extremis l’ensemble, notamment grâce à la musique d’Ennio Morricone, qui pouvait comme personne créer une atmosphère grâce au caractère émotionnel de sa palette musicale, et cette irruption soudaine d’une conversation un peu plus humaine, de l’ordre du quotidien, entre Volney et sa femme, qui vient enfin déranger le mécanisme de l’enquête. Dans cette dernière scène, la mise en scène perd enfin sa fonction purement illustrative pour acquérir la dimension allégorique d’une chute à travers l’usage d’un ralenti. Beau titre qui rappelle que les hommes peuvent se brûler les ailes au soleil de la vérité.

Strum

Cet article, publié dans cinéma, Cinéma français, critique de film, Verneuil (Henri), est tagué , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

20 commentaires pour I comme Icare de Henri Verneuil : thriller politique et complot

  1. modrone dit :

    Je ne me souviens plus guère que de la scène célèbredont tu parles. Je l’avais trouvée glaçante et j’ai gardé un souvenir assez favorable de I comme Icare.

    J’aime

  2. Strum dit :

    La scène est glaçante et l’on s’en souvient en effet. Mais elle m’est apparue comme presque plaquée sur la narration, comme si Verneuil voulait l’y insérer de force pour faire coïncider deux sujets distincts.

    J’aime

  3. kawaikenji dit :

    Merci Strum d’exhumer ce bon vieux père Verneuil, bien sous-estimé – la faute à pas mal de bouffons dont les Cahiers. Certains de ses meilleurs « actioners » valent bien Siegel (« Peur sur la ville » est son meilleur à mon avis, et un des seuls films de serial killer français).

    J’aime

    • Strum dit :

      Je n’ai pas d’apriori défavorable sur Verneuil, mais j’attendais davantage d’I comme Icare. J’ai un bon souvenir de Cent mille dollars au soleil et Un singe en hiver. Pas vu Peur sur la ville (ou peut-être des bouts à la télé), mais je le verrai peut-être.

      J’aime

  4. J’ai gardé un souvenir très flou d’I comme Icare (vu il y a environ trente ans). Il me semble qu’il y a la même ambiance froide et neutre que dans beaucoup de films d’espionnage ou de polars français de la même époque. Je me souviens par contre que Montand était excellent

    J’aime

  5. Sylvain J. dit :

    Hello Strum,
    J’ai découvert ce film il y a quelques années, et ce fut une grande déception. D’une part pour ce que tu soulignes sur la forme : les bâtiments de Cergy donnent une dose d’étrangeté que Verneuil n’utilise pas bien, l’utilisation de l’expérience de soumission à l’autorité est longue et peu utile au déroulé du film (alors que l’expérience en elle-même est passionnante à étudier). Et surtout, je suis sans voix devant deux grosses erreurs d’écriture, de gros soucis dans l’enquête qui ne semblent pas choquer du tout choquer Volney : le « Zapruder » du film (Maurice Benichou) se comporte étrangement et est laissé dans la nature sans sourciller. Et surtout, surtout, je ne comprends pas pourquoi il y a un point de montage aussi visible dans le film de ce « Zapruder », quand le président se fait tirer dessus. C’est choquant, ça décrédibilise complètement la mise en scène, c’est idiot.
    Et je n’aime pas la fin, en dépit de l’excellente musique de Morricone. Là aussi le jeu sur les vitesses d’enregistrement de la bande sont mal gérés, ça m’a fait sortir du film.
    Certains disent que je chipote, mais ces deux derniers points m’ont tellement sauté aux yeux, il m’est impossible de reconsidérer le film autrement.

    Merci pour ton texte !

    J’aime

    • Strum dit :

      Hello Sylvain et de rien. Je ne serais pas aussi sévère que toi sur les deux éléments que tu cites. Effectivement pour Zapruder… même si ça reste surtout un détail technique qui ne participe pas de l’atmosphère d’ensemble. La mise en scène est illustrative à la fin pendant la séquence de vitesse d’enregistrement, mais il y a cette idée du ralenti au moment de la chute que j’ai bien aimée. Mais globalement, c’est un film décevant par rapport à sa réputation.

      J’aime

  6. Ronnie dit :

    Un Verneuil mineur, désuet pour tout dire, j’oserai bien ringard aussi 🙂
    Pour la peine, je vais me refaire ‘JFK’ un de ces 4

    J’aime

  7. Ping : PinRSS-site d’information:Italie,France,etc – sourceserlande

  8. pascale265 dit :

    J’avais beaucoup aimé ce film pour Montand, impérial comme souvent mais sans son côté méridional surexploité. Et par l’atmosphère glaciale de l’environnement.
    La scène de la soumission à l’autorité est encore fraiche dans ma mémoire. Je me souviens de l acteur blond, froid mais qui me faisait presque pitié lorsqu’il disait qu’il était obligé d’obéir puisqu’il s’agissait d’un ordre.
    Ça rejoint les théories d’Anna Arendt ou je suis à côté de la plaque ?

    J’aime

  9. Elias_ dit :

    Pas convaincu non plus par ce film, et sa restitution presque risible d’une enquête pleine de trous. L’impression que Verneuil manque de confiance dans la capacité de son spectateur à comprendre l’intrigue qui lui est proposée, et qu’il s’attarde donc trop sur les explications au lieu de rester dans la suggestion. Et bien d’accord avec toi pour dire que ce qui sauve le film in extremis, c’est sa dernière séquence, où tout entre de façon presque inespérée en harmonie (musique, mise en scène, et ce titre finalement très beau).

    E.

    J’aime

    • Strum dit :

      Oui, c’est drôle que l’on soit presque tous d’accord sur le film. Cela confirme le fait que les films qui restent un certain temps invisibles acquièrent souvent une aura pas toujours justifiée.

      J’aime

  10. dasola dit :

    Bonjour Strum, j’apprécie ce film depuis longtemps. Je le revois toujours avec plaisir grâce aux comédiens (souvent de théâtre): Seyrès, le regretté Jacques Denis, Marcel Maréchal et Roger Planchon, Jean Négroni etc.

    J’aime

  11. Ping : Peur sur la ville d’Henri Verneuil : cascades sur les toits de Paris | Newstrum – Notes sur le cinéma

Laisser un commentaire