Qu’elle était verte ma vallée de John Ford : le don de double vue

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Pour qui veut ressusciter le passé, il n’est ni barrière, ni haie, qui ne puisse être levée ; par le pouvoir du souvenir, le passé peut être recouvré, les morts convoqués, le temps retrouvé : ces mots ne proviennent pas du Temps retrouvé de Marcel Proust mais résument les premières phrases en voix off de Qu’elle était verte ma vallée (1941), l’un des plus beaux films de John Ford, autrement dit l’un des plus beaux films du monde. Huw Morgan, mineur du Pays de Galles, emballe ses effets dans le vieux châle de sa mère et quitte la vallée qui l’a vu naître, dont la terre éventrée est épuisée. Dans la rue grise qui descend de la mine, les corons menacent ruine, le sol s’est noirci de la poussière du terril, une vieille femme aux cheveux blancs attend l’air hagard. Au moment de son départ, Huw se souvient de ce qu’était la vallée il y a cinquante ans, quand elle était verte et jeune, quand il avait dix ans. Tout le film déplie ses souvenirs tels que les a vus ce garçon de dix ans et, vertu de la distance et de la jeunesse, sans doute les revoit-il plus beaux qu’ils n’étaient réellement. Il faut toujours en regardant ce film garder à l’esprit cette ouverture, ce prisme des souvenirs d’un enfant qui teinte de candeur certaines images.

Par la pensée, Huw (Roddy McDowall) se revoit enfant, revoit son père Gwilym (Donald Crisp), sa mère Beth (Sarah Allgood), sa soeur Angharad (merveilleuse Maureen O’Hara) et ses frères. L’inclinaison naturelle de la vallée permet à Ford de magnifier les paysages par l’usage de sublimes diagonales dans les plans. La photographie d’Arthur C. Miller, prenant appui sur les contrastes du noir et blanc, fait ressortir le noir des fumées de la mine au-dessus du blanc des corons, fait jaillir comme un grand bloc de lumière le ciel derrière les frondaisons sombres des arbres. Et la profondeur de champ, grâce à la précision des lignes de fuite, amène tout un peuple dans le plan, notamment dans les scènes de chant. Aux choeurs gallois (l’émouvant Myfanwy), Ford mêle parfois une complainte irlandaise car il se souvient aussi de sa propre mère. Les premiers souvenirs de Huw sont heureux : les Morgan sont fiers d’être mineurs, sourient en touchant leur salaire quotidien, et dans la grande rue, noirs encore du charbon de la mine, ils chantent en regagnant leur coron. Huw, si naïf, envie à ses frères ces marques de la mine que le savon ne parvient plus à faire partir. La famille est unie autour de la figure sévère mais juste du père et du giron aimant de la mère. L’un des frères se marie : scènes de fête et de liesse où l’humour tendre de Ford donne sa mesure ; en même temps, en deux plans, il nous fait voir par un échange de regards, qu’Angharad est amoureuse du pasteur Gruffydd (Walter Pidgeon).

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Mais bien vite, les souvenirs embellis du passé s’assombrissent, car le garçon se remémore d’autres images où le gris commence son travail de sape. Le propriétaire de la mine annonce une baisse des salaires qui entraîne une profonde dissension dans la famille, les quatre frères de Huw choisissant de protester en embrassant le syndicalisme, le père s’y refusant. Ford raconte par son découpage cette scission entre le père et les fils, entre la tradition et l’aube du socialisme, dans une scène de dîner : les plans d’ensemble du début se scindent en plans rapprochés séparant chaque fils dans un cadre propre. C’est le début de la dissolution de la communauté familiale, sous le regard d’un Huw qui ne comprend pas encore ce qui se trame. Lorsque débute une grande grève, le père s’y oppose, s’attirant la vindicte des autres mineurs. Beth, la mère, sort un soir de tempête de neige dire leur fait à ceux qui voudraient s’en prendre au père. Génie du détail : Ford la fait glisser au bas de l’estrade, soulignant son désarroi tout en anticipant sa chute plus tard hors champ.

Il serait vain de relater toutes les péripéties qui s’enchainent dans ce film où chaque séquence prend vie par la grâce des mouvements des personnages dans le plan. Cette grâce fait penser aux tableaux des grands maitres de la Renaissance, en ceci que chaque mouvement parait incarner un sentiment (timidité, joie, tristesse, colère), traduire le for intérieur du personnage, sans que Ford ait besoin de montrer son visage en gros plan. La spécificité de son esthétique, c’est cette filiation cachée avec l’art du mouvement de la Renaissance italienne intégrée à l’héritage expressionniste reçu par Ford. Au début, chaque plan est comme un tableau qui semble arrêter le temps par une image si vivante, si frappante, qu’elle parait fixer pour l’éternité le souvenir dans le plan, résolvant ainsi l’aporie du temps et de l’éternité de Saint Augustin. Illusion de Huw ?

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Mais c’est un plan qui survient à la quarante-cinquième minute du film que je voudrais surtout évoquer (voir photogramme ci-dessus). Parce qu’ils sont maintenant au chômage, deux fils ont annoncé leur départ pour les Etats-Unis. Au même moment, un courrier des Windsor arrive à la maison invitant un autre fils à venir chanter devant la Reine : fierté de la famille, hourrahs du village. Alors que le père se tourne vers les deux fils en partance et leur affirme d’un sourire triomphant qu’ils auront « des adieux dignes des Morgan », on aperçoit à gauche du plan, comme en contrepoint, la mère en retrait qui se blottit dans l’encoignure de la porte et regarde ailleurs, le visage défait, pensant à ces deux fils qui vont partir. En un seul plan, Ford dit le triomphe et la tristesse, la joie et la peine du monde, parce que son regard embrasse tous ces sentiments à la fois. Ce don de double vue, c’est le secret du cinéma de Ford.

C’est ce don qui fait qu’il a besoin de si peu de plans, qu’il découpe peu, ne pivote jamais sa caméra. On résume parfois cette économie de mouvement par l’idée que la mise en scène de Ford serait « simple ». Erreur d’analyse et de perspective. La caméra de Ford est souvent immobile, il n’a pas besoin de redécouper dans le plan au cours de la séquence par un changement d’axe de sa caméra (seul lui suffit parfois un bref travelling), car tout est déjà dit par lui en une seule image. Son regard double voit d’emblée à la fois la joie et la peine et il nous les montre ensemble, indissociables l’une de l’autre. C’est pourquoi il filme en même temps le visage exalté de Tom et le visage inquiet de Ma à la fin des Raisins de la colère, la légende et la réalité dans L’Homme qui tua Liberty Valance, Lincoln montant la colline d’un pas assuré et s’attardant mélancolique auprès de la tombe d’Ann Rutledge dans Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln), Debbie revenant au ranch et Ethan le quittant pour se dissoudre dans la poussière dans La Prisonnière du désert. C’est la dimension élégiaque du cinéma de Ford : il veut croire, mais en sait trop pour croire sans douter, sans soulever le voile de la légende. C’est ainsi qu’il a participé au cours de sa carrière à la construction de mythes cinématographiques tout en les déconstruisant dans le mouvement suivant. Il n’y a pas deux Ford, même s’il est tentant de recourir à l’idée de l’homme multiple pour expliquer ses contradictions, il y a un homme qui a le don de double vue.

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Alors que les souvenirs de Huw s’égrènent, que les départs, les injustices et les morts adviennent à côté de rares joies (fabuleuse séquence du maitre d’école prenant sa leçon de boxe), on réalise que le don de double vue est autre chose que le crédo proustien affirmé pourtant en voix off au début du film. Il n’y a pas ici de triomphe d’un artiste ressuscitant à lui seul tout un monde, d’un homme qui a trouvé sa vocation, triomphe que raconte le Temps Retrouvé de Proust, car Huw ne devient pas écrivain comme Marcel. En restant dans la vallée, en perpétuant la tradition familiale, il se sacrifie sans trouver de récompense a priori. Revoir les images d’ouverture, constater ce qu’il reste de la vallée, étreint le coeur. Le paradis perdu ne réside pas dans le passé, il est ailleurs, n’existe que dans les souvenirs de Huw, embellis par la fidélité de l’amour familial, par sa propre nostalgie, qui diffère de la mélancolie de Ford.

Le don de double vue montre le délitement de la communauté, le vide qui peut se faire autour de soi dans une pièce à mesure que la vie passe, Ford filmant plusieurs fois les mêmes lieux se vidant peu à peu. Parfois, sa caméra sort par une lucarne ou montre une scène à laquelle Huw n’a pu assister, comme une manière de raconter ce que le naïf Huw oublie de dire, de doubler le récit. Les scènes entre Angharad et Gruffydd sont de cet ordre et elles racontent l’histoire d’un homme et d’une femme qui s’aiment mais se rendent malheureux à cause du pasteur, qui croit se sacrifier pour une noble cause mais fait preuve de lâcheté. Et de fait, peu à peu, les images du film paraissent contredire les mots réconfortants de Huw, car la communauté s’avère non seulement incapable de prévenir sa propre dissolution mais s’en prend aussi aux plus faibles, ainsi dans la scène terrible où un diacre chasse de l’église une femme qui a mis au monde un enfant hors les liens du mariage. Les rumeurs qui courent sur la relation entre Angharad et le pasteur sont aussi l’occasion pour Ford de donner libre cours à sa colère habituelle contre les on-dit, les bigots, les hypocrites, les condamnations collectives. Moments qui témoignent une fois de plus de son ambivalence vis-à-vis de la tradition : lui qui chante si souvent ses rites communautaires, dénonce tout aussi souvent les préjugés et les petitesses qu’elle entretient, les erreurs qu’elle encourage face à la fuite du temps et la transformation du monde par l’industrie.

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Quand Huw décide d’être mineur comme son père, il se montre fidèle à la vocation familiale, il embrasse la tradition. Mais Ford nous fait voir que le père est triste : il aurait voulu que son plus jeune fils devienne médecin ou avocat, et il part se saoûler. Il ne reste que Huw pour porter le flambeau de la tradition, pour croire à la pureté de la tradition, car il ne voit pas que le monde change. Dans A la recherche de John Ford, Joseph McBride écrit que c’est « l’abnégation autodestructrice » de Gruffydd qui incite Huw à s’enferrer dans la vallée au lieu de partir. Mais je ne crois pas qu’il faille énoncer les choses en ces termes car Huw et Gruffydd ne sont pas responsables de la mort de la vallée que travaillent d’autres forces et ils incarnent aussi une tendance fordienne, sa foi dans la beauté de l’image que contient le don de double vue. A un moment donné, Huw énonce en voix off : « qui peut dire ce qui est réel et ce qui ne l’est pas ? », ce qui semble tenir du leurre car au même moment l’image contredit son affirmation par l’irruption d’une réalité terrible que Huw ne peut effacer, et pourtant c’est aussi une déclaration de poète, car à défaut d’être écrivain, Hew est un témoin. Il est si bien possédé de la poésie de la tradition, si bien convaincu de la puissance du souvenir, qu’il croit réellement que « des hommes comme son père ne meurent jamais » et qu’ils continuent de survivre par le souvenir. Or, se faire poète, c’est bien ce que Ford a entrepris pour lui-même, lui qui tenait tant à la beauté des images, qui composait ses plans de telle sorte qu’ils soient les plus beaux possibles. Le don de double vue fait voir par la raison tout ce que le monde, y compris la tradition quand elle se dévoie, contient de petit et de mauvais, mais il ne peut s’empêcher de faire de l’image fordienne la confidente des joies et des peines, de montrer qu’il existe de la beauté, comme si l’image incarnait malgré tout une espérance. La mélancolie fordienne vient de ce savoir que l’image, quelle que puisse être sa beauté, n’est pas à même de ressusciter ce qui n’a jamais vraiment existé, mais elle crée en même temps les conditions d’une espérance.

Le génie de Ford se lit dans tant de scènes de ce film. Toutes les séquences où Huw blessé lutte pour remarcher sont magnifiques. Il y a toujours des idées à l’intérieur d’une séquence pour lui donner son sens et lui conférer la chaleur de la réalité : le pasteur Gruffydd qui parle de foi pour ensuite tendre un livre à Huw, qui s’avère être L’Ile au trésor de Stevenson là où on attendait la bible ; la mère dont les cheveux ont blanchi et qui dit avec pudeur que c’est « la neige qui s’est mise dedans » et la même qui communique avec Huw en tapant le sol avec son baton ; Angharad qui vient de donner au pasteur le droit de lui faire la cour et qui le regarde partir devant une plante éclairée de telle manière que l’on comprend que cette plante, c’est l’image de son amour ; le voile d’Angharad soulevé par le vent après son mariage et que son mari retient par la main, métaphore d’une vie réprimée, exprimée par le don de double vue dans le plan. Roddy McDowall, Donald Crisp, Maureen O’Hara et Sarah Allgood sont tous sensationnels et la musique élégiaque d’Alfred Newman, un fidèle de Ford, superbe – c’est une de ses plus belles partitions.

Strum

PS : Au départ, Darryl F. Zanuck voulait confier Qu’elle était verte ma vallée à William Wyler et en faire une superproduction en couleurs de quatre heures, la réponse de la Fox à Selznick après Autant en emporte le vent. Fort heureusement, les circonstances en décidèrent autrement et Ford en fit le film intime et élégiaque que l’on peut voir aujourd’hui.

PPS : Je signale la ressortie en salles ce jour de Rio Grande de Ford, avec John Wayne et Maureen O’Hara, au Christine 21 à Paris – le moins bon film de sa trilogie de la cavalerie mais à voir quand même.

 

 

 

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39 commentaires pour Qu’elle était verte ma vallée de John Ford : le don de double vue

  1. roijoyeux dit :

    encore une merveille que je n’ai pas vue !!

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  2. Ronnie dit :

    Bel ouvrage Strum.
    L’un des plus beaux films du monde.. Sans aucun doute ,-)

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  3. J.R. dit :

    Qu’elle était belle cette chronique (pardon 😰!)… Ford a cause d’une cataracte mal soignée (et non à cause d’un fait de guerre) est devenu « borgne », après le tournage Mogambo. Et l’œil unique est justement le signe de la double vue.
    Je pense que lorsqu’Orson Welles dit que « Ford sait de quoi est faite la terre », il énonce une vérité. Après on peut toujours m’accuser d’idolâtrie.

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    • Strum dit :

      Merci, bien content que la chronique vous aie plus car je savais que vous l’attendiez ! Quand c’est Ford, j’essaie de m’appliquer. L’oeil unique signe de la double vue, j’adore. 🙂 Idolâtrer c’est aimer une idole, un faux dieu, et donc mal aimer. Avec Ford, un des rares vrais dieux du cinéma, on peut aimer sans peur de se tromper. Un fils de la terre, oui, certainement.

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  4. J.R. dit :

    « Un fils de la terre, oui, certainement. » : C’est mieux que ça… c’est juste que j’ai oublié la majuscule à « Terre ».

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  5. Strum dit :

    Les deux fonctionnent !

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  6. Olivier Henry dit :

    Ford savait faire de belles images, et il avait la volonté farouche de faire de belles images. Et son génie est que chaque image magnifique porte en elle une ou même souvent plusieurs significations et idées, comme tu l’as écrit. Alors traduire cette esthétique par une idée plus générale sur l’espérance (mais toujours bordée de mélancolie) amène naturellement une conclusion sur la légende qui doit primer. Parce qu’il est impossible de faire croire aux légendes si on ne les déconstruit pas auparavant.
    Il est aussi important de faire la distinction entre les personnages en mouvement, en voyage, et ceux qui sont arrêtés, et ce que cela peut exprimer à chaque fois.
    Enfin, j’associe toujours How Green Was my Valley avec My Darling Clementine, et The Grapes of Wrath, pour leurs images en noir et blanc si léchées, j’y vois un héritage expressionniste et c’est pourquoi ton parallèle avec les tableaux des grands maîtres de la Renaissance me laisse perplexe.
    Ce sont des drames auxquels nous assistons dans ces 3 films.
    John Ford est le cinéaste qui me passionne le plus, merci de lui consacrer de belles chroniques.

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    • Strum dit :

      Merci de ton passage Olivier. Bien sûr, Ford a été influencé par l’expressionnisme et tous les fordiens connaissent cette anecdote selon laquelle son cinéma a changé après sa découverte de Murnau. Mais le génie de Ford, à mon avis, c’est d’avoir allié le jeu sur la lumière de l’expressionnisme à la grâce des gestes des personnages des grands tableaux de la Renaissance. Je ressens devant les mouvements gracieux des personnages dans les plans de Ford, la même émotion que devant les tableaux de Vinci, Titien, Raphael. Pour moi, ce lien esthétique secret est très important pour saisir ce que le génie esthétique de Ford a d’unique dans le cinéma. L’influence de l’expressionnisme ne suffit pas à définir la beauté des plans de Ford car aucun cinéaste expressionniste ne possède la grâce des mouvements qui est la sienne, pas même Murnau. Je pense que la photographie des Raisins de la colère et de My Darling Clementine (l’influence de l’expressionnisme est plus nette dans ces deux films pour le coup, surtout dans les Raisins où l’on trouve pas mal de gros plans très expressifs) est assez différente de celle de Qu’elle était verte ma vallée. PS : pour moi, la légende ne prime pas, n’est pas imprimée car Ford tient les deux bouts, il construit et déconstruit en même temps : son don de double vue lui fait tout voir en même temps, la réalité et la légende, la joie et la peine, la vérité et le mensonge, l’espérance et le désespoir, comme dans Fort Apache et Liberty Valance, et c’est ça qui est beau et tragique et rend son cinéma si mélancolique. Après, il y a eu une évolution dans son cinéma : plus il a avancé dans sa carrière, plus la partie mélancolique qui déconstruit s’est affirmée, prenant peu à peu le dessus.

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      • J.R. dit :

        Il y a d’ailleurs une célèbre image de pietà dans le film. D’une certaine façon Ford n’échappe pas à la renaissance et à l’expressionnisme, comme il n’échappe pas à la Bible et à Shakespeare (sans parler des influences majeurs de son frère et de Griffith); mais son style où prime l’idée, le sens, un style à la fois pauvre et profond, avec ses lignes franches, est en définitif unique (mais j’enfonce une porte ouverte 🙂 )

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        • Strum dit :

          Oui, sublime cette pietà. Et « unique », tout à fait d’accord (laissons ouverte cette porte). 🙂 Par contre, style « pauvre » ? Je crois que je vois l’idée mais le mot n’est peut-être pas le plus approprié ?

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  7. J.R. dit :

    Pauvre : je voulais dire qu’avec une porte, une fenêtre, une clôture, des choses très simples, Ford disait des choses très compliquées.

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    • Strum dit :

      On en revient à mon « don de double vue », cela parait simple mais ce ne l’est pas car il voit plusieurs choses dans le plan. Ce qui est unique ne peut être si simple sinon tout le monde y arriverait. Cela doit être cela la grâce.

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  8. ornelune dit :

    Je veux le voir depuis quelques mois et la remarque de Ronnie ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd non plus (et quand il s’agit de lecture, « ne se cogne pas sur l’oeil d’un aveugle ? »). J’ai un cours à préparer sur le XIXe siècle, l’industrialisation et le cinéma pour des collégiens et je pensais bien y insérer la première séquence (la seule que j’ai vue). Je reviendrais donc sur cette page après ma découverte !

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  10. J.R. dit :

    J’ai revu Ce n’est qu’un au revoir cet après-midi, le film de Ford qui fait directement écho à celui-ci. Le rapport à la tradition, à un monde clos, est identique. C’est un film savant qui poursuit les interrogations développer ici. Les morts reviennent, aussi, à la fin… J’ai rarement vu une biographie ou un « héros » est si peu conscient du chemin qu’il doit prendre, le film propose sa propre métaphore quand Marty Maher apprend à nager balancer par Ward Bond, au bout d’une corde par un harnais. C’est un moniteur de boxe et de natation qui ne sait ni boxer, ni nager… Bref l’anti-professionnel Hawksien, à contre-courant de nos sociétés de la performance.

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    • Strum dit :

      En effet, on peut établir un lien entre les deux film, et notamment cette idée d’un personnage qui reste toute sa vie au même endroit pour défendre une idée ou une tradition avec des résultats contrastées, même si les deux films sont différents par d’autres aspects. Un Ford intéressant Ce n’est qu’un au revoir.

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  11. Olivier Henry dit :

    En tout cas Ford fait de Huw un personnage à l’arrêt, comme Marty dans ce n’est qu’un au revoir.

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  13. Benjamin dit :

    Merci Strum de me ramener ici. Mais je n’ai pas bien adhéré au film. Je sais que je risque gros en disant ça ici.

    Déçu que le film passe par les souvenirs d’un enfant, car d’une part cela gêne tout développement politique (je comprends qu’il n’était pas dans les intentions de Ford d’aller sur ce terrain-là, mais j’attendais un peu plus), et d’autre part je trouve le film mal équilibré dans les malheurs racontés. Tout ce qui arrive à Huw me paraît excessif et prend trop d’importance. Je n’aime pas cette attente pour savoir s’il remarchera, je n’aime pas voir ces deux scènes d’école très schématiques (la raclée, la vengeance), je n’apprécie pas non plus que l’on entre dans la mine seulement avec ses yeux. De même, j’ai trouvé qu’il y avait trop peu lors des échanges entre les propriétaires et la famille Morgan, sur un sujet (le mariage de la fille) qui aurait pu n’être qu’anecdotique compte tenu du cadre (en lien avec la déception politique).

    Ce côté très pesant aurait pu conduire à certain misérabilisme, mais ce n’est heureusement pas le cas. Ford contrebalance par les dialogues et les autres personnages, bien plus intéressants. Du coup, j’ai davantage apprécié les rapports familiaux axés autour du père ainsi que le rôle de la mère (très chouettes acteurs que Donald Crisp et Sara Allgood), j’ai été aussi attentif à la romance contrariée entre Maureen O’Hara et Walter Pidgeon (merci de me donner une interprétation concernant ce tout petit arbre en pot éclairé devant la fenêtre et placé entre Angharad et le pasteur !). Bien sûr le décor de corons et la composition des paysages dans leur ensemble, le circuit des mineurs dans ses mêmes paysages ne sont pas la moindre réussite du film.

    Pour citer ton article, je trouve pertinent que tu choisisses la scène mettant en avant la fierté du père (« des adieux dignes des Morgan ») et le retrait de la mère au second plan, isolement immédiatement recadré ensuite en plan rapproché. C’est intéressant de lire cette capacité de Ford à embrasser d’un regard tous les sentiments à la fois (je reprends tes mots). Car je viens de terminer d’écrire une note sur Rio Grande que j’ai regardé juste après Qu’elle était verte et j’ai été justement sensible à cette série de regards que se lançaient les différents personnages, sur lesquels le réalisateur marque toujours une pause. En particulier un regard long de Maureen O’Hara qui dit aussi tout de la complexité de ses sentiments quand elle retrouve son fils dans le camp sous sa tente. De te lire à propos du vieux couple des Morgan, j’ai eu l’impression de revoir la scène du western et les retrouvailles des York.

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    • Strum dit :

      Merci Benjamin de tes commentaires et explications. Je comprends tes réserves. Il faudrait une longue discussion pour en débattre. Mais si tu espérais un film politique (au sens pédagogique ou militant du terme), effectivement tu as du être déçu. Ford est un poète et est trop subtil pour dire les choses explicitement. Chez lui, le regard politique passe presque toujours par le prisme de la mélancolie. D’autant qu’ici, tout le film tient dans un regard rétrospectif qui jette un voile sur les évènements. Dans Quelle était verte la vallée, film complexe en ce qui concerne la détermination du point de vue retenu (ce qui en fait la richesse dialectique), Ford est du côté de Huw, mais aussi du père, de la soeur, de la mère et des frères. C’est pourquoi il ne prend pas politiquement parti pour un côté au sens militant du terme. Il se tient après le débat familial avec la mélancolie de l’âge et de la sagesse. Je trouve extrêmement beau dans le film tout ce qui se rapporte à l’enfant car Ford montre avec énormément de finesse et de pudeur l’écart entre la naïveté, la candeur de l’enfant et la réalité très noire. Les scènes sur l’enfant qui remarche, pour moi, c’est de la poésie, c’est filmé en état de grâce (visuellement, ce film est un sommet). Par ailleurs la deuxième scène à l’école où le maitre prend une rouste est très importante car c’est le seul triomphe (éphémère) des mineurs dans le film sur l’establishment, sur leurs maitres. Il faut bien montrer cela. J’adore cette scène jubilatoire et à l’humour typiquement fordien. As-tu remarqué que le maitre boxeur devient aveugle à la fin ? Je pense que tu devrais appréciser bien davantage Les Raisins de la colère, où Ford est cette fois beaucoup plus direct sur le plan politique et prend parti avec une vigueur qui se reflète dans la sécheresse de sa mise en scène. Cette fois, il raconte au présent, il est en prise directe avec les èvènements. N’oublie pas d’ailleurs, que quand il réalise qu’elle était verte ma vallée, il a précisément tourné l’année d’avant Les Raisins de la colère, et il ne veut pas tomber dans la redite. Son approche est donc différente, plus mélancolique et individuelle, moins ouvertement politique que dans le précédent film. Bref, tu trouveras que Quand elle était verte ma vallée est un chef-d’oeuvre quand tu le reverras dans cinq ans. 🙂 PS : content que tu aies aimé Rio Grande même si c’est loin d’être mon Ford préféré. Dans la trilogie de la cavalerie, les deux premiers sont bien meilleurs que Rio Grande. Fort Apache devrait te plaire notamment. Encore un film très complexe et intelligent où Ford parle de la construction de l’histoire et de la légende de manière indirecte.

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  14. Benjamin dit :

    Merci pour tes conseils ! Il me faut dégoter les autres western du maître maintenant.

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  17. Valfabert dit :

    Film formidable et analyse remarquable ! Cette chronique est de nature à faire apprécier le cinéma de Ford à sa juste valeur. Les observations faites sur la manière dont Ford compose ses plans, par exemple, sont essentielles. Plus généralement, tout ce qui est dit sur la double perspective (présente au niveau de l’image et caractérisant le propos du film) rend justice à la finesse et au sens poétique du réalisateur.

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