L’Apparition de Xavier Giannoli : mystères et coïncidence

l'apparition

A la fin de Marguerite (2015), l’héroïne à la voix de crécelle qui se rêvait artiste, chantait soudain merveilleusement bien, sans que ce miracle fugitif soit expliqué. C’est sur les traces d’un autre mystère que nous emmène Xavier Giannoli dans L’Apparition (2018), qui creuse un filon thématique proche. Jacques (Vincent Lindon), un reporter de guerre souffrant depuis la mort en Syrie de son collègue photographe, se voit confier une enquête canonique ayant pour objet de déterminer si Anna (Galatea Bellugi), une jeune novice, a effectivement vu la Vierge Marie. L’écheveau de l’affaire se révèle moins simple à démêler que la simple question de savoir si Anna ment ou non. Elle se double d’une enquête policière au cours de laquelle Jacques retrouve une icône syrienne que son collègue avait photographiée en Syrie. Cette singulière coïncidence ébranle son scepticisme et déplace le mystère initial. Du reste, au fur et à mesure que progresse l’enquête, Vincent se sent de plus en plus proche d’Anna chez laquelle il devine une souffrance analogue à la sienne.

Giannoli filme les couloirs du Vatican et les processions avec une attention et une précision laissant penser qu’il n’est pas insensible aux mystères religieux. Son film met en jeu une interrogation que doit se poser tout réalisateur ayant à représenter la foi, qu’il soit athée, agnostique ou croyant, portant sur les moyens de sa représentation. Giannoli a recours à un naturalisme dans l’air du temps, soit que celui-ci accepte difficilement la représentation transcendentale de la foi que l’on pouvait trouver chez Borzage (voir par exemple la fin de L’Heure Suprême) et d’autres cinéastes classiques (sans même compter Tarkovski ou Dreyer), soit qu’un savoir-faire esthétique se soit perdu, soit que Giannoli se refuse à montrer ce qui appartient selon lui à l’autre monde. Je crois que son naturalisme relève surtout de cette troisième tendance, d’une pudeur de croyant qui diffère d’une simple hésitation de cinéaste.

Cette approche naturaliste lui permet de situer son histoire à hauteur d’homme et de femme, sa caméra suivant de près Jacques et Anna, en laissant le mystère irrésolu comme dans Marguerite. Il filme aussi les exploiteurs de religion et les marchands du temple qui gravitent autour d’Anna. Il le fait sans le génie et les sarcasmes de Fellini dans La Dolce Vita dont un épisode extraordinaire montre la médiatisation hystérique d’une supposée apparition de la Vierge Marie, mais il montre bien cette contradiction existant entre le message du Christ et la marchandisation des icônes qui peut rendre rétif à l’idée même d’organisation religieuse. Ce même naturalisme l’empêche peut-être de recréer dans les images le mystère contenu dans le récit, images qui manquent d’ambitions formelles et ne dépassent pas le niveau horizontal de la narration (l’usage d’un beau thème musical de Delerue à la fin ne suffisant pas à compenser le prosaïsme des plans), mais il fait de L’Apparition un film sincère où le doute s’avère la seule réponse possible aux interrogations humaines. Belle interprétation de Vincent Lindon et Galatea Bellugi.

Strum

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13 commentaires pour L’Apparition de Xavier Giannoli : mystères et coïncidence

  1. J.R. dit :

    « il montre bien cette contradiction existant entre le message du Christ et la marchandisation des icônes qui devrait rendre rétif à l’idée même d’organisation religieuse. » … Voyons! Sans l’église plus personne ne connaîtrait même l’existence du Christ. Pourquoi les non-croyants veulent-ils toujours expliquer la vraie religion aux croyants. J’hésitais à faire l’effort d’aller voir ce film, mais je vais après lecture de l’article rester chez moi regarder Le Chant de Berdannette, qui a déjà tout dit sur ce sujet.

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    • Strum dit :

      🙂 Peut-être que c’est moi qui suis plus à blâmer que le film. C’était mes mots à moi, peut-être un peu brusques, pour dire le mal que je pense de cette marchandisation, même s’il est manifeste que le film la critique aussi (il faut le voir dans le contexte). Cela pour dire que je serais navré si vous n’alliez pas voir le film à cause de moi, ne fut-ce que pour vous faire votre propre opinion.

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    • kawaikenji dit :

      Le Chant de Bernadette qui, talent de Henry King oblige, n’est pas aussi nul que ce à quoi son sujet ridicule semblait le condamner

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  2. J.R. dit :

    Vous n’êtes pas à blâmer. C’est justement que j’ai confiance en votre compte-rendu, et que rien ne me semble attrayant. Il mériterai quand même le César de la curiosité (à quand la fin des César par ailleurs, jamais vu un palmarès aussi nul)

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  3. FredMJG dit :

    Je trouve dommageable que Xavier Giannoli n’ait pas un peu souscrit à la proposition d’Elina Löwensohn d’accepter le mystère, en bref que tout ne soit pas explicable (et c’edt une athée qui te cause).
    Là, manifestement, il accompagne Vincent Lindon qui reprend les rennes et le rôle central du film alors que les passages les plus intéressants sont ceux où brille la jeune Galatea. Quelle beauté cette petite, on dirait une madone 🙂 Le film se rallonge, devient explicatif et honnêtement j’ai fini par m’en désintéresser

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    • Strum dit :

      C’est vrai qu’Elina Löwensohn joue dedans. Dommage en effet sur un plan cinématographique qu’il n’ose pas franchir la ligne de démarcation entre naturalisme et surnaturel. Je peux me tromper mais j’ai l’impression que cela tient à une espèce de pudeur de croyant (je comprends que Giannoli l’est) qui préfère s’en tenir au naturalisme et reste donc aux côtés du personnage de Lindon. Galatea Bellugi est bien en effet (je n’irai pas jusqu’au « Madone » 🙂 ), mais effectivement les « explications » finales, pas très claires d’ailleurs, finissent par diluer un peu le mystère (alors que dans Marguerite le ‘miracle’ était complètement inattendu et inexpliqué). Ca reste pas mal quand même.

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      • FredMJG dit :

        Ha ha je m’en tenais à l’imagerie du film 🙂 Mais elle a vraiment une chance d’exister face à Lindon alors que d’autres ne sont que des comparses, Elina compris.
        Je me note « Marguerite »

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  4. Paul Fléchère dit :

    Content que tu ai apprécié ce film qui garde un très bon équilibre sur un sujet qui aurait pu être bien casse-gueule, tant sur le scénario que sur l’esthétique.
    A propos de la marchandisation, c’est un vaste sujet, mais voici un article sur Lourdes, un sommet à ce propos, qui te montrera que les boutiques ne paie rien au sanctuaire sur les objets vendus, et que ce site emblématique a connu des difficultés financières récemment.
    https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/lourdes-sanctuaire-en-quete-de-miracle-economique_1900643.html
    Juste pour dire qu’on a souvent des à priori (;-)
    J’ajoute que si on peut ne pas apprécier le mauvais goût de la plupart de ces objets de médiocre qualité, il ne s’agit évidemment pas d’icônes. Ce n’est pas à un grand amateur d’Andreï Roublev que je vais rappeler ce qu’est une icône, objet produit avec grand soin, méticulosité et respect religieux, même quand il s’agit d’une copie, comme l’est l’icône de Kazan du film.
    A noter à propos d’icône, que s’il n’y a pas d’apparition dans le film, il y a un miracle au sens rossellinien du terme. A la fin de Voyage en Italie, dont les deux protagonistes ont décidé de divorcer, ils décident de visiter un village où une procession a lieu tous les ans, et au cours de laquelle un miracle se produit, dit-on. Durant leur visite, ils sont séparés par la foule, et au final, tandis qu’en arrière-plan au loin, on voit deux béquilles agités au dessus de la foule, les deux protagonistes se rejoignent et d’un regard, retrouvent leur amour perdu: un miracle a bien eu lieu ce jour là au village.
    Il en va bien sûr de même avec l’icône de Kazan (par ailleurs icône de tradition miraculeuse) que Lindon retrouve « miraculeusement », et qu’il choisit de rapporter en un lieu et d’une façon telle que son retour sera assez « miraculeux » pour ceux qui la trouveront.
    C’est assez fin, et plutôt que de ne pas prendre position, je trouve que Giannoli joue habilement de son sujet pour ménager toute opinion.

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    • Strum dit :

      Merci Paul pour ton commentaire et le lien vers l’article. La marchandisation du religieux est pour moi une contradiction dans les termes mais j’ai conscience des difficultés économiques que le mot peut recouvrir en pratique. Bien entendu, quand je parle de marchandisation, je ne faisais pas référence à l’icône de Kazan, mais à ce magasin entraperçu dans le film qui provoque d’ailleurs le malaise d’Anna. J’ai la même interprétaton que toi concernant la fin de Voyage en Italie, c’est un miracle et Rosselini a l’intuition de finir le film ainsi sans épiloguer car le miracle se passe de mots. Dans L’Apparition le miracle c’est celui de la trouvaille de l’icône en effet, c’est pour cela que j’évoque un « déplacement » du mystère dans l’article. Ce déplacement d’Anna à Jacques est effectivement un choix de Giannoli plutôt qu’une hésitation, je suis d’accord.

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  5. 100tinelle dit :

    Bonjour Strum,

    Je l’ai vu hier soir et je l’ai beaucoup aimé. Je partage assez bien le point de vue de Paul Fléchère, en ce sens que je trouve le film assez fin, et je ne sens pas Giannoli hésitant, mais plutôt délicat et subtil, ce qui est différent. J’ai apprécié aussi le fait qu’il reste à un niveau très « naturaliste », tel que tu le décrits, sans génie, peut-être, mais sans esbrouffe non plus. Le mystère n’est pas seulement déplacé sur la réapparition de l’icône, tant ma surprise et mon questionnement concernent surtout l’amie d’Anna. Je n’en dirai pas plus pour ne pas trop informer les lecteurs qui viendront te lire mais ces dernières scènes sont très symboliques tout de même. On passe presque deux heures en compagnie d’un homme fragile en pleine découverte d’un monde qu’il ne connaît pas – ou très mal – et qui se pose beaucoup de questions, qui fera des découvertes qui le feront vaciller et du moins éprouveront son scepticisme. C’est évidemment toute la question de la foi qui est posé ici, sans certitude ni preuve tangible, c’est aussi un peu toute la beauté de la croyance, porteuse d’espoir et de renouveau. Et puis on retombe un peu lourdement dans tout ce que les détracteurs reprochent aux religions, à savoir des plans sur la comète d’un arrière-monde totalement improbable au détriment de l’ici et maintenant, au détriment du corps et du sacre de la vie. Anna en paiera le prix fort (dévouement, sacrifice, mort), alors que son amie a choisi la vie, comme si les deux étaient incompatibles, c’est l’un ou l’autre. Religion = pulsion de mort, on en est là finalement. Et c’est curieux pour moi que Giannoli retombe là-dedans, en quelque sorte. Hmm j’ai l’impression d’être brouillonne aujourd’hui, désolée si je suis incompréhensible, mais tu arriveras à te débrouiller avec ça, Strum, enfin, je crois 😊 Tu me diras, en cela, on peut le trouver hésitant, dans ce que peut apporter une croyance.

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    • Strum dit :

      Bonjour Sentinelle, et merci pour ton compte-rendu. Je vois bien ce que tu veux dire (non, tu n’es pas du tout incompréhensible, 🙂 ). Moi aussi j’ai bien aimé cette approche naturaliste et je garde un bon souvenir du film qui ne se voit peut-être pas assez dans ma critique, même si j’ai toujours des réserves sur la gestion de la fin.

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