Dark Shadows (2012) de Tim Burton est un film qui court plusieurs lièvres à la fois : celui traditionnel dans le fantastique romantique et gothique de l’amour éternel, celui burtonien du film fantastique semi-parodique où le réalisateur a pour ses freaks des yeux de Chimène, celui enfin du blockbuster à 150 millions de dollars où le spectateur est censé en avoir pour son argent.
Cet alliage de tons et de genres concourt à la réalisation d’un film bancal et souvent claudiquant. Des trois lièvres que poursuit le film, deux sont boiteux. Passé l’ouverture, on ne croit plus guère à la veine de l’amour romantique, d’abord parce que l’absence d’unité de ton du film nous distrait rapidement des enjeux de cet amour, ensuite parce que le réalisateur et son scénariste y consacrent trop peu de scènes et sans doute d’efforts. Surtout, la diaphane Bella Heathcote n’a pas le charisme d’Eva Green et l’on se demande comment Barnabas peut préférer la première à la seconde. Le deuxième lièvre, celui du blockbuster, offre d’abord quelques arguments : d’assez beaux décors mis en valeur par une mise en scène privilègiant les plans larges, même si la post-production semble avoir forcé sur l’étalonnage des couleurs. Puis, vient le revers de la médaille : une fin qui frise l’idiotie en déroulant une suite de destructions, de renversements de situations, de morceaux de bravoure, de deus ex-machina improbables, faisant in extremis appel à la veine romantique du film pour clore la boucle de la narration au lieu de laisser le spectateur imaginer la suite de l’histoire.
Reste le troisième lièvre, celui propre à Tim Burton d’un fantastique néo-gothique articulé autour du mécanisme narratif du décalage, à la fois temporel (le M de MacDonald pris pour le M de Mephistophélès) et relationnel (Barnabas et Angélique, Depp et sa famille, Depp et les Hippies, etc.) dont on peut trouver l’origine et les archétypes visuels dans l’imaginaire américain des années 1960-1970 (le film est tiré d’une série télévisée de l’époque). La réside le meilleur du film. Comme souvent chez Burton, les femmes ont le beau rôle. Dans des registres différents, Eva Green et Michelle Pfeiffer font bien ce que leur rôle demande. Il y a quelque chose de singulier dans le visage de la première. Quand il se ferme on y lit un désespoir et une fureur qui paraissent naturels, comme d’un masque un peu effrayant. Quand il sourit, ce visage devient adorable, comme celui d’une poupée. On se surprend à regretter le sort que le film réserve à son personnage. Depp, le visage poudré de blanc, le sourcil gauche qui se soulève pour exprimer la perplexité, est quant à lui ridicule, mais cela convient bien au personnage passif et mal ajusté au monde qu’il joue, ayant toujours un train de retard par rapport à ses partenaires féminines.
Dark Shadows attrape donc un lièvre sur trois : ce n’est assez ni pour faire un grand film, ni pour faire un beau film, mais cela reste suffisant pour passer un moment correct pour qui n’attend plus grand chose du cinéma de Tim Burton – les autres pourront passer leur chemin.
Strum
Je ne l’ai pas revu depuis sa sortie en salle, mais ton analyse rejoint bien l’impression que j’en ai gardé. Il est bien triste néanmoins de voir Burton s’abîmer dans ces projets qui semblent lui échapper et dans lesquels il peine à imprimer la poésie (Edward) ou l’acidulé (Beetlejuice) qui faisaient le miel de ses plus meilleurs films.
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Oui et a priori ce n’est pas son prochain film (une adaptation live de Dumbo) qui devrait redresser la barre.
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Je crois que je l’ai un peu re( ou sur)valorisé depuis sa sortie, mais comme princecranoir, je ne l’ai pas revu. Les bonnes choses ont pris le pas sur les mauvaises (la fin en effet). Et j’avais noté que Dark shadows montrait pour la première fois chez Burton une relation sexuelle (sans chair, certes, mais pas sans une violente sensualité et beaucoup d’humour). J’avais adoré retrouver Depp et j’avais tout autant apprécié les rôles de Green et Pfeiffer. Maintenant, peut-être vais-je attendre encore un peu encore un peu avant de le revoir.
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Tant mieux si tu y as trouvé ton compte. On y retrouve certes l’univers de Burton à défaut d’une nouvelle inspiration.
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Tim Burton est devenu depuis quelques films l’ombre de celui qu’il fut à ses débuts. J’ai l’impression que l’échec que fut Mars Attacks ! a traumatisé le cinéaste à jamais, au point de ne plus parvenir à faire dialoguer sa sensibilité, ses ambitions et ceux des studios. Ce Dark Shadows est donc épouvantablement bancal, mais il reste néanmoins ce que le cinéaste a pu produire de plus réjouissant au cours de cette période d’errance artistique.
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En ce qui me concerne, son dernier film d’intérêt est Big Fish (qui suivait d’ailleurs un navet, son remake de La planète des singes).
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Content de te relire, Strum.
Ce « Dark shadows » n’est pas mon Burton préféré – je citerais plutôt « Sleepy Hollow » et je ne m’en souviens guère. L’impression d’avoir vu un blockbuster somme toute assez banal sous le vernis burtonien, lui-même assez répétitif désormais. Cela dit, j’ai trouvé intéressante et bien trouvée ton histoire de course aux lièvres.
À bientôt, j’espère, pour d’autres films plus enthousiasmants.
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Merci Martin, j’ai triché un peu car c’est un texte que j’avais déjà écrit. Je n’ai toujours pas trouvé le moyen de voir un film depuis mon retour. Burning ce week-end j’espère ! Sinon, oui, un film assez banal.
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Une critique qui ne m’encourage vraiment pas à tenter le coup. J’ai systématiquement zappé tous ses films depuis « Charlie ». Tenté par son « Alice », j’ai tenu 20mn avant d’abandonner, horrifié. Ça n’enlève rien à l’amour que j’ai pour ses films d’avant.
E.
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Alice est une laideur esthétique peu commune et réalise une très singulière inversion des valeurs du livre. J’en ai parlé sur le blog.
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« Frankenweenie » version longue est plutôt réussi à mes yeux, sans doute parce qu’il émane d’un projet plus ancien. Pour le reste, effectivement…
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Je n’ai pas vu celui-ci en revanche.
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Sleepy Hollow, même si depuis j’ai l’impression d’avoir vu un fantôme……
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J’avais trouvé Sleepy Hollow assez illustratif. Mais l’illustration était bien faite.
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J’avais été sévère à sa sortie. Je l’ai revu la semaine dernière à la télé comme toi j’imagine. J’ai passé un bon moment mais évidemment on se demande comment on peut préférer quiconque à Éva green.
Et il y a longtemps que Johnny Depp n’est plus qu’une marionnette. Se ressaisira t’il un jour ?
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