Mia Madre : la déclaration d’amour de Moretti à une mère

Mia Madre : Photo Margherita Buy, Nanni Moretti

En évoquant la crise existentielle d’une cinéaste (Margherita Buy) qui se met à douter de la capacité du cinéma politique à changer le monde au moment où sa mère est en train de mourir, Nanni Moretti signe avec Mia Madre (2015) un nouveau film d’inspiration autobiographique, rendant compte d’une période de sa vie où il se sent impuissant.

Mais là n’est pas le plus important. Et même si Moretti mélange parfois le rêve à la réalité, nous ne sommes pas non plus chez Fellini. Avant d’être un film sur le doute (comme l’était Habemus papam, le précédent Moretti), Mia Madre est d’abord une déclaration d’amour à une mère. C’est à l’occasion de sa maladie, que Margherita réalise ce que sa mère lui a légué et combien elle lui manquera. La maladie de sa mère, la peur de la perdre, comptent alors plus que la politique (Camus en son temps l’avait dit autrement, dans un autre contexte). Le travail perd pour Margherita ses vertus tranquillisantes, le cinéma perd sa faculté à transcender la vie. Le philosophe romain Lucrèce, que le film cite, ne peut davantage consoler Margherita (Lucrèce, continuateur du matérialisme d’Epicure, pour lequel la mort n’est rien, car l’âme étant mortel il n’y a nulle vie après la mort). Même l’énergie euphorisante d’un acteur américain venu tourner son film ne peut la dérider. Dans ce rôle de comédien capricieux et incontrôlable, John Turturro est formidable et à défaut d’égayer Margherita égaye le spectateur, notamment dans une scène hilarante en voiture.

L’alternance entre les respirations comiques des scènes avec Turturro et les scènes autour de la mère à l’hôpital est un des grands attraits de Mia Madre, non seulement du point de vue de la construction et du rythme, mais aussi d’un point de vue thématique puisqu’elle renforce l’opposition établie par le film entre la réalité (la mère qui se meurt) et la fiction (ce mauvais film sur la lutte des classes que met en scène Margherita – film dans le film déconnecté de sa propre réalité). Pour Margherita, la vie, y compris la vie rêvée du cinéma, a momentanément perdu ses arômes. Comme pour Moretti sans doute lorsqu’il perdit sa mère sans doute.

Or, Moretti nous montre que cette épreuve lui a appris à mieux regarder la vie en face ainsi qu’à Marguerita.  Jusque-là, elle se refusait à le faire,  se cachant derrière un écran, vivant « à côté », par procuration, à travers ses films puisque c’était à ses acteurs qu’elle demandait de jouer un rôle. Mais cela change. La voici qui crie enfin sur l’acteur américain qui ne connait pas ses répliques. Bientôt, elle admet que sa mère ne peut plus marcher et va mourir. Bientôt, maman est morte et la crise est passée. Comme Lucrèce, Margherita a regardé la mort en face. Il faut maintenant regarder l’avenir, avec comme bagage et viatique le souvenir d’une mère souriante. En sortant de ce film, c’est de ce visage souriant dont on se souvient et non des souffrances endurées à cause de la maladie. Bientôt, Margherita et Nanni pourront se remettre au travail et la vie retrouvera pour eux ses arômes. Pour nous aussi. Merci Nanni.

Strum

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