Soudain l’été dernier de Joseph L. Mankiewicz : la mouche et la plante carnivore

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Peu après le début de Soudain l’été dernier (1959) de Joseph L. Mankiewicz, le neuro-chirurgien Cukrowicz (Montgomery Clift) rend visite à Violet Venable (Katharine Hepburn), une riche veuve. Elle l’accueille dans sa maison qui abrite un jardin intérieur exotique, véritable jungle où se cache une plante carnivore se nourrissant de mouches. En quelques plans symboliques que l’on peut trouver par trop signifiants (le jardin enchevêtré qui figure l’inconscient de Violet, la plante carnivore qui figure un désir de domination et augure la dévoration finale), Mankiewicz annonce l’enjeu de son histoire : il s’agit de savoir qui sera la plante carnivore et qui sera la mouche.

On écrit généralement que Mankiewicz était un cinéaste décrivant des rapports de pouvoir et il est manifeste que le sujet l’intéressait. Mais ses plus beaux films ne sont pas, à l’exception d’Eve, ceux mettant en intrigue la lutte pour une domination sociale et psychologique, ce sont ceux, sensibles et réflexifs, qui en montrent les conséquences pour la partie lésée (L’Aventure de Mme Muir, La Comtesse aux pieds nus, Jules César, Chaînes conjugales, notamment). Ils appartiennent à une période courant entre 1947 et 1954 ; ensuite, son cinéma déclina en se faisant plus bavard et moins subtil. Soudain l’été dernier montre assez bien ce déclin relatif. Le film relate une tentative de corruption. Violet propose à Cukrowicz de faire lobotomiser sa nièce Catherine (Elizabeth Taylor), moyennant le versement d’une subvention à son hopital public. Catherine a perdu la mémoire à la suite d’un traumatisme, et si Violet essaie de la faire passer pour folle c’est pour l’empêcher de révéler les moeurs de son fils Sebastian, homosexuel et pédophile, mort « soudain l’été dernier ».

C’est une adaptation d’une pièce en un acte de Tennesse Williams et cela se voit du point de vue de la structure du scénario, où l’on peut identifier quatre grandes séquences passé le prologue : premier dialogue entre Cukrowicz et Violet, premier dialogue entre Cukrowicz et Catherine, séjour de Catherine à l’hopital, scène finale de la révélation du traumatisme. Pour Williams, la pièce avait valeur de catharsis : il s’agissait de sauver en imagination sa soeur que sa mère avait fait lobotomiser, traitement courant de la schizophrénie après 1936 avant d’être remis en cause en raison de ses effets irréversibles. De ce sujet difficile, dont Williams cherche à dissimuler le caractère très intime par de multiples références littéraires, Mankiewicz tire un film très dialogué, au découpage souvent statique (corollaire de sa structure théatrale) et assez peu avare de ses effets que souligne une musique dramatique.

Certes, c’est le principe même de la psychanalyse que celle d’une libération par la parole et il y a comme un paradoxe à trouver le film trop dialogué. D’ailleurs, Mankiewicz nous conduit habilement vers la résolution finale en semant le film d’indices sur la personnalité de Sebastian et son étrange association avec sa mère. Mais la plupart du temps, sa mise en scène ne fait qu’accompagner le texte et lorsqu’il essaie de la faire participer à l’entreprise de révélation en cours, elle conserve un caractère horizontal sans nous faire pénétrer toujours dans l’image. On peut ainsi regretter que la scène de révélation finale soit filmée par le biais d’une surimpression, le visage de Catherine apparaissant à droite du plan tandis que les évènements se déroulent à gauche, réduisant l’impact visuel de ces derniers. Cette scène édifiante, rappelant par sa dimension sacrificielle ces meurtres de l’aube de l’humanité qu’évoquent le René Girard de la Violence et le sacré et le Freud de Totem et Tabou, aurait eu davantage d’impact si elle avait été filmée plein champ afin de lui conférer un caractère de jaillissement, un caractère libérateur, pour nous comme pour Catherine. C’est d’autant plus dommage que ce que l’on en entrevoit impressionne et donne enfin aux mots du récits (soleil, oiseaux dévorant) une incarnation visuelle.

Je crois que l’interprétation entre pour une part dans mes réserves. Katharine Hepburn joue de manière appuyée la folie, tandis que Clift, le visage marqué, semble hésitant et peu assuré, même si cela participe du rôle. Ses yeux pâles semblent parfois lancer des appels à l’aide (on sait qu’il eut diverses addictions après son accident de voiture). En revanche, Elizabeth Taylor trouve le ton juste ; mais elle émeut rarement alors que son sort à elle, petite mouche menacée de disparition, est tout l’enjeu du film. Quant à la folie, elle est ici filmée comme une fosse remplie d’êtres dégénérés, comme un voyage sans retour dans les ténèbres. On ne sait si c’est la raison pour laquelle Williams n’aima pas le film.

Strum

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6 commentaires pour Soudain l’été dernier de Joseph L. Mankiewicz : la mouche et la plante carnivore

  1. Marcorèle dit :

    Bonne analyse. Cependant, je préfère cent fois Le Limier, voire Guêpier pour trois abeilles, à La comtesse aux pieds nus. Très bavard lui aussi. 😉

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  2. roijoyeux dit :

    un film très bavard où la folie et l’homosexualité sont présentés très caricaturalement et faussement, en tous cas le personnage de Sebastian donne une image extrêmement négative et erronée des gay … Malgré cela j’ai été fasciné par le film, sauf par la vision pessimiste de la folie, mais heureusement que le personnage d’Elizabeth Taylor montre bien qu’une personne apparemment « folle » peut en réalité être saine d’esprit et guérir de sa folie passagère – elle était juste traumatisée par un évènement et des situations et un entourage malsains

    En tous cas très bonne et intéressante analyse, notamment sur Montgomery Clift j’ai pensé exactement comme vous !!

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