L’Ile aux chiens de Wes Anderson : éloge de la fidélité

l'ile aux chiens

L’Ile aux chiens (2108), beau film d’animation image par image, raconte l’histoire improbable de chiens exilés sur une île de déchets par un maire japonais leur vouant une haine séculaire. Wes Anderson en parle dans ses entretiens avec la presse comme d’un film qui rend hommage au cinéma japonais, de même que The Grand Budapest Hotel (2014) était ancré dans le contexte mélancolique de la Mitteleuropa finissante. Un buste de Stefan Zweig marquait le seuil de ce dernier film. Ici, c’est aux dires mêmes d’Anderson, l’ombre tutélaire de Kurosawa qui s’étend sur les compositions en triangle de certains plans, et pour tout amateur du grand Akira, la scène du film où retentit le superbe hymne musical des Sept Samouraïs composé par Fumio Hayasaka en signale le véritable début après un prologue un peu long – un peu plus tard, c’est la musique de L’Ange Ivre de Kurosawa qui est cette fois utilisée. Kobayashi, le maire, a d’ailleurs les traits de Toshiro Mifune et son pupille Atari, un garçon de 12 ans, est un personnage kurosawaïen par l’indéfectible fidélité qui le lie à son chien Spots. Afin de le retrouver, Atari brave l’interdit familial en se rendant sur l’île où ont été mis en quarantaine les chiens, trouvant sur place cinq alliés, Chief, Rex, King, Duke, Boss, cinq mâtins ayant mis leurs différends de côté pour organiser entre eux une démocratie directe, chaque décision étant prise à la majorité des voix.

En filigrane, apparait comme dans The Grand Budapest Hotel une critique (certes convenue) des régimes autoritaires et intolérants ne supportant pas la différence et les minorités. Contrairement au même film, en revanche, on ne trouve ici nulle trace d’ironie peut-être parce que le cinéma humaniste et directe de Kurosawa en était lui-même dépourvu. La réussite du film tient pour beaucoup à la qualité des dialogues et à la chaleur des voix des interprètes (Bill Murray, Brian Cranston, Jeff Goldblum, Edward Norton, Scarlett Johansson, entre autres). C’est une vision du Japon largement extérieure et exotique, où l’imagerie d’Epinal n’est jamais très loin (les personnages japonais sont d’ailleurs un peu caricaturaux), mais cela importe peu finalement dans un film où les sentiments humains, tels qu’ils peuvent s’exprimer au niveau individuel, sont placés plus hauts que les habitudes et les préjugés légués par la tradition sur un plan collectif. L’éloge ici n’est pas celui de la fidélité au passé ou au pays, mais de la fidélité à l’autre, et l’esthétique de miniaturisation en vigueur dans le film ne diminue pas l’importance des sentiments qui guident les personnages. Hormis l’ouverture inutile, les flashbacks (Anderson est friand de récits emboités) sont d’ailleurs d’un ordre personnel. Il est symptomatique que l’on parvienne, à partir d’un synopsis qui a des allures de plaisanterie, à passer outre le caractère un peu saccadé de l’animation et la simplicité de confection des marionnettes (cette approche artisanale a au contraire du charme) pour considérer des personnages dotés d’attributs canins comme porteurs de sentiments humains, lesquels semblent logés dans le brillant de leurs yeux mouvants. Car ici, ce sont des chiens que l’on se sent le plus proche. Ce sont eux que l’on comprend et qui portent le point de vue du récit. L’accompagnement musical conçu par Alexandre Desplat trouve un bel équilibre entre ballades mélancoliques et rythmes japonisants.

Strum

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8 commentaires pour L’Ile aux chiens de Wes Anderson : éloge de la fidélité

  1. Pascale dit :

    Il me tente beaucoup mais j’ai une grosse baisse de régime ces temps ci. Je n’ai vu qu’un film cette semaine dont je n’ai pas encore parlé d’ailleurs. (Luna, très bien).

    J’ai entendu une émission à propos du doublage avec de longs extraits. Les voix françaises sont TRÈS réussies aussi avec un casting impressionnant.

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  2. dasola dit :

    Bonsoir Strum, j’avoue avoir été déçue par ce film que j’ai trouvé visuellement très laid. Les voix des acteurs donnent un peu de chaleur dans ce film qui en manque. Bonne soirée.

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  3. Pascale dit :

    Rassurée je suis pour les baisses de régime.
    Je l’ai finalement vu. J’ai beaucoup aimé.
    J’ai aimé l’animation et les voix (j’ai choisi les français en toute connaissance de cause, je me suis dit que ça valait le coup. ça valait le coup) et l’histoire aussi.
    Bon, je n’ai pas vu les références à Kuro et je trouve que Toshiro est plus beau que le maire.
    J’ai trouvé la musique épatante aussi.
    https://www.google.com/url?sa=i&rct=j&q=&esrc=s&source=images&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwixiZ7skc7aAhVudt8KHZSxAvwQjRx6BAgAEAU&url=https%3A%2F%2Fen.wikipedia.org%2Fwiki%2FToshiro_Mifune&psig=AOvVaw1dqWE-C-HYPfbDN0sM0JPL&ust=1524495336302662

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    • Strum dit :

      Toshiro est certes plus sémillant jeune, mais plus âgé (par exemple dans Entre le ciel et l’enfer de Kurosawa, une des références d’Anderson), il ressemble fichtrement au maire. Les voix sont très réussies en anglais aussi.

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  4. princecranoir dit :

    J’ai passé un magnifique moment sur cette île pourtant hostile. La technique artisanale est tout bonnement bluffante et tellement plus impressionnante et esthétique que tout l’arsenal numérique déployé dans les grosses productions. Le spectacle est tout aussi grand ici, rappelant parfois même Wall-E et ses corvées de déchets. Effectivement le propos d’Anderson n’a jamais été autant politique (cela se devinait dès Grand Budapest Hotel), mais tellement bien amené par ce festival de marionnettes aux yeux mouillants !

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