The Guilty de Gustav Möller : huis-clos avec images

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The Guilty (2018), film danois de Gustav Möller, est un huis-clos, un des genres les moins cinématographiques qui soient où la narration est d’habitude propulsée par le dialogue et non l’image. Pour contourner cette contrainte, le réalisateur a l’idée de confier au spectateur le soin de produire lui-même les images du film. Comment ? En lui faisant écouter la conversation d’un policier au téléphone aidant à distance une femme à échapper au ravisseur qui l’a kidnappée. La totalité du film se déroule ainsi dans un local où le standard de la police recueille les appels urgents. De cette action qui se déroule à l’extérieur, nous entendrons plusieurs choses, mais nous ne verrons rien, rien en tout cas qui soit intégré au montage. Or, et c’est la raison pour laquelle la gageure du film est tenue, en sortant de la salle, on a l’impression d’emporter avec soi des images de l’action comme si on l’avait vue. Qui minorerait l’importance du hors-champ au cinéma, qui douterait de l’activité artistique du cerveau, en tant que créateur d’images, serait bien avisé de voir ce film. Une activité artistique incontrôlée puisque ces images qui n’existent pas dans le film ont été produites par notre cerveau sans notre aval. On en arrive même au paradoxe suivant : on se souvient ensuite davantage des images qu’on a inventées que de celles, assez quelconques, qu’on trouve réellement dans le film.

Le policier s’appelle Asger Holm et il possède le visage plein et méditatif de Jakob Cedergren. On comprend assez vite qu’il a été affecté au standard de police secours à titre de sanction. Du reste, le film se déroule opportunément la veille de son procès. Aussi l’autre intérêt du film est-il de nous inciter à imaginer quel crime ou délit Asger a bien pu commettre pour se retrouver ainsi dans la situation d’un accusé et quel lien peut avoir sa propre histoire avec le glaçant fait divers familial qu’il est amené à démêler au téléphone. Et ce d’autant plus que l’intérêt qu’il porte à cette affaire semble aller au-delà du seul intérêt professionnel (il sort des limites de sa fonction), comme s’il avait des difficultés à garder son sang froid. Juger de ce qui est vrai, en tenant en lisière ses émotions, c’est sans doute le plus difficile dans le métier de policier. Dans la réalité, les inspecteurs Harry au sang chaud, les James Bond au coup de poing facile, sont vraisemblablement prédisposés à la bavure.

L’intrigue contient une surprise quant au déroulé supposé des faits du kidnapping. La reconstitution opérée par Asger à partir de ce qu’il entend au téléphone s’avérera différente de la réalité, ce qui démontre incidemment le danger de fonder une accusation ou de se faire une opinion sur la seule base d’écoutes téléphoniques – la réalité est trop complexe pour être ainsi réduite à des sons. C’est à la fois la force du film (le renversement de perspective est impossible à prédire car le spectateur est trompé de concert avec Asger, les deux mettant inconsciemment en scène un autre récit imaginé hors champ) et sa limite (il n’est pas certain que ce soit un film que l’on ait envie de revoir une fois connu le fin mot de l’affaire). Quoiqu’il en soit, Gustav Möller, dont c’est le premier film, parvient à nous tenir en haleine jusqu’au bout grâce à un usage intelligent de la lumière : au fur et à mesure qu’Asger s’investit dans la résolution du kidnapping, la lumière autour de lui évolue, d’abord parce qu’il change de pièce, ensuite parce qu’il en ferme les stores, enfin parce que le chef opérateur du film varie les éclairages, lesquelles représentent à chaque fois l’état mental d’Asger qui descend dans une obscurité progressive visible à l’écran : encore une habile manière de tenir à distance les contraintes du huis-clos. En somme, voici un bon film policier, aussi habile qu’original, qui vaut comme confirmation de la capacité du spectateur à créer lui-même des images se substituant au film, qu’on recommandera volontiers pour échapper à la canicule estivale dans la fraicheur d’une salle de cinéma.

Strum

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7 commentaires pour The Guilty de Gustav Möller : huis-clos avec images

  1. Carole Darchy dit :

    Bonjour Strum, film étonnant, où je me suis surprise à créer, inventer des images mentales, des pans du film qui n’ont jamais existé ! C’est un peu de la manipulation mais c’est avant la force de ce premier film, huis clos réussi.

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  2. Pascale dit :

    C’est tout à fait ça. Le pouvoir de notre imagination est sans limite.
    Ne voit-on pas la maison sens dessus dessous ? La chambre ? La camionnette et la femme enfermée dans l’obscurité ?
    Et je ne parle pas du pire qu’on voit très distinctement…
    Je suis d’accord sur tout sauf une chose… j’ai revu ce film (masochiste que je suis) cette semaine, (je l’avais vu en avril). Il n’a rien perdu de sa force et Jakob Cedergren est toujours aussi fascinant. Mais quel manque de discernement chez ce policier !

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    • Strum dit :

      En effet, on le voit distinctement, surtout après le film. Revoir le film, non merci pour moi et ce d’autant plus qu’on garde ces images imaginées en tête. Il manque de discernement mais pas facile de démêler le vrai du faux au téléphone.

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  3. dasola dit :

    Bonjour Strum, je n’ai pas forcément fait attention à tous ces changements de lumière et qu’ils reflètent l’état mental d’Asger, c’est subtil. Sinon, oui, c’est un film qui se voit avec plaisir. Et il est certain que quand on connaît la fin, on n’a pas forcément envie de revoir le film, quoique… Bonne après-midi.

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