Un Jour de pluie à New York de Woody Allen : moi, Woody Allen

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La dernière image du cinéma de Woody Allen ne sera finalement pas un bûcher sur une plage, plan terminal de Wonder Wheel. Ce n’est pas lui qui brûlera son cinéma. Bien que mis au ban d’Hollywood, en raison d’une accusation dont la justice américaine l’a innocenté, le voici qui présente Un jour de pluie à New York (2019) finalement distribué en Europe. Aux Etats-Unis, le film reste non distribué par opportunisme commercial ; le retour du fils prodigue attendra. Certes, Woody Allen ne réinvente pas ici son cinéma mais il fait mieux : il le montre toujours là, obstinément, puisque ce film est l’un de ses plus charmants des années 2000 – à défaut de renouer avec l’âge d’or enfui des années 1980.

Ci-devant : Gatsby, fils de la haute société new-yorkaise exilé upper State, qui préfère le jazz et les jeux de cartes monnayés à la finance à laquelle le destinent ses riches parents. A ses côtés : sa petite amie Ashleigh, ravissante idiote de l’Arizona, envoyée à New York City par le journal de son université pour interviewer un célèbre réalisateur. L’occasion pour ces deux tourtereaux dissemblables de passer un week-end sous la pluie new-yorkaise. Les contemplant : Woody Allen plus guoguenard que jamais, aménageant cette comédie romantique initialement rose bonbon en récit de formation où il ne cache rien de ses marottes, s’affirme artiste contre les modes et les interdits de l’époque. Qu’on en juge : une jeune provinciale de vingt ans pas bien futée mais prête à coucher avec un acteur célèbre de vingt-cinq son ainé ; un héros qui se demande ingénument ce que les jeunes filles trouvent aux hommes plus âgés ; une New York irréelle réduite à quelques appartements luxueux dans l’Upper East Side ; la profession de journaliste rangée avec la prostitution parmi les « plus vieux métiers du monde ». Woody règle ses comptes avec les médias américains qui ont essayé de lui régler le sien. Il ne tend pas le bâton pour se faire battre, il ne bat pas sa coulpe ; au contraire, il se défend en rendant coup pour coup. Il met exprès en scène, dans un esprit de défiance voire de provocation, tout ce qui déplait à la critique américaine dans son cinéma depuis trente ans. En nourrissant les thèmes du film des influences de Fitzgerald et de l’Attrape-coeurs de Salinger, comme il a déjà pu le faire par le passé, il se permet moins une redite qu’il n’affirme la survie de son cinéma. Il clame : « Woody Allen, c’est moi. Vous ne m’aimez pas, et bien je ne vous aime pas non plus ». Mais contrairement à Pialat, il le fait en s’amusant.

Pendant la première partie du film, on se dit d’ailleurs que le plaidoyer pro domo a ses limites, que Timothée Chalamet parle un peu trop avec les intonations d’Allen (destin de tous ses alter ego), que Vittorio Storaro, son chef-opérateur depuis Café Society, exagère avec ses excès de lumière déversant des soleils sur le visage perpétuellement souriant de la délicieuse Elle Fanning. Et puis, Gatsby monologue : « what I need is a ballad from Irving Berlin », et l’on entend alors une ballade d’Irving Berlin dans la bande son. Et puis, Gatsby chante au piano pour Chan qui a, elle, de l’esprit (Selena Gomez), et la farce se teinte de mélancolie. Et puis, Gatsby a une conversation nocturne avec sa mère qui se révèle être « une autre femme » (titre d’un de ses plus beaux films) que la socialite sans histoire qu’il imaginait, et l’émotion surgit, inattendue, entre deux rires indulgents. Alors, sous l’escapade guillerette, sous la bulle de pluie irréelle aux allures de sitcom, sous les flèches sardoniques décochées contre les vigiles de la forteresse hollywoodienne, apparaît à la faveur de cette scène avec sa mère une autre histoire qui nous dit que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, qu’il ne faut pas toujours croire le clinquant, que la pureté et la perfection n’existent pas, car c’est à partir des blessures et des mensonges du passé que se construisent les existences.

C’est en réalisant cela que Gatsby, apprenant à mieux se connaître, pourra échapper à la fatalité de son nom, qui le condamnait, comme dans le roman de Fitzgerald, à tomber amoureux de la mauvaise femme, à ressentir une mélancolie perpétuelle. C’est à lui de décider de sa fortune et non pas à une quelconque roue d’en décider, pour filer la métaphore du pessimiste film précédent. Pas la fausse fortune de ses parents et des hôtels de luxe, mais la vraie fortune, celle d’une vie légère et désirée, d’une vie composite où les standards de jazz et une femme ayant de l’esprit pourront l’accompagner. Une vie à New York où tous les mondes, même les « demi », se côtoient, car Gatsby entend passer de l’un à l’autre, du haut au bas, de gauche à droite. Ce n’est pas que New York l’a « happé », comme l’affirme Gatsby, c’est qu’il l’a désormais choisie, en pleine connaissance de cause. Woody Allen a suivi cet exemple : il s’est choisi son nom et son propre destin et il continue de courir devant nous, ignorant les « qu’en-dira-t-on », insatiable et inextinguible, plus déterminé que le Gatsby de la fin, ayant déjà tourné son prochain film en Espagne. Exilé à nouveau comme le Gatsby du début mais avec des images de son pays, New York, pour toujours dans la tête.

Strum

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13 commentaires pour Un Jour de pluie à New York de Woody Allen : moi, Woody Allen

  1. regardscritiquesho22 dit :

    Une analyse magistrale! Bravo!

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  2. Excellente et intéressante critique. J’espère pouvoir le film prochainement.

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  3. J.R. dit :

    Tu m’instruis encore, car j’ignorai pour ma part ce qu’était une « socialite ». Je me suis, dans un premier temps, demandé si tu n’avais pas oublié un « s », mais qu’en définitive il devait certainement y avoir plus de « socialites » que de « socialistes » à New-York – même si j’ignorais ce que c’était .
    En lisant l’analyse de ce film « règlement de comptes » joyeux, je me disais qu’heureusement que ces scandales de mœurs, n’avez pas lieux autrefois – ce qui n’enlève rien à la gravité de ce qui est parfois reproché à certain, à juste titre. Je me faisais la réflexion que les scandales étaient plus idéologiques, avant – par exemple Renoir qui aurait proposé ses services à Vichy, et outre-atlantique tel scénariste ou réalisateur accusés de sympathie communiste.
    Mais erreur, je me suis rappelé que les affaires de mœurs avaient connues un âge d’or avant guerre, à Hollywood. Par exemple l’affaire Fatty Arbuckle, et surtout Chaplin, accusé de relations avec des mineurs (des jeunes filles de 16 ans). Il me semble qu’il avait également réalisé l’un de ses meilleurs films L’Opinion Publique, dans le but de dénoncer l’hypocrisie dont il se disait la victime (à vérifier).
    Juste un détail, il y a de la mise en scène où l’on est dans de l’imagerie colorée et insipide. j’ai l’impression que la comédie musicale reste sa principale source d’inspiration. J’aime tellement Manhattan, Zelig et Annie hall que j’avoue ne plus retrouver la substantifique moelle depuis bien bien longtemps…

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  4. Strum dit :

    La différence avec les affaires de moeurs d’avant à mon avis, c’est aujourd’hui l’immense nocivité des réseaux sociaux qui condamnent hâtivement et que suivent les médias par peur de rater le scoop – cela peut générer des dégats par ricochet dans les recettes du film. Donc les studios, par conformisme et pour des raisons commerciales, y font beaucoup plus attention. Pour répondre à ta dernière question, le découpage et la lumière m’ont paru de bonne qualité comparé à certains autres de ses films des années 2000 bien que l’imagerie hésite parfois entre l’inspide et le papier bonbon, ce qui va d’ailleurs bien avec le début ; cela s’arrange ensuite, même si cela vaut surtout pour les dialogues et les tournures du récit.

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  5. Pascale dit :

    J’ai adoré lire ton texte.
    Ce film est effectivement plus profond qu’il ny paraît.
    Je trouve formidable que Woody se tourne vers cette jeunesse (Elle, Timothée, Selena) plutot que ronronner avec son équipe de stars.
    Ce film n’est pas le plus grand, loin s’en faut mais c’est un délice (aussi pour les oreilles) et sera toujours au dessus de la production générale.

    quelques appartement luxueux

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  6. Nick Corey dit :

    Que pensez-vous de l’attitude adoptée par Thimothé Chalamet, qui a refusé de faire la promo du film en rapport avec les soupçons qui pèsent sur Woody Allen ?

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