Dans Amanda (2018), Mikhaël Hers filme deux rescapés qui affrontent un deuil. David (Vincent Lacoste) a perdu sa soeur Sandrine, mère de la petite Amanda. Se retrouvant seuls dans le Paris des 11e et 12e arrondissements, oncle et nièce surmontent ensemble cette épreuve.
Dans Ce sentiment de l’été du même cinéaste, un mari et une soeur faisaient déjà face à la perte de l’être aimé, unis par un lien secret qui tenait à ce que chacun portait en lui le souvenir de la disparue. Cette dernière ne mourait pas tout à fait puisqu’elle survivait à travers eux. Dans Amanda, et bien que les deux films partagent nombre de points communs, il en va autrement. D’abord, parce que l’on se situe dans le Paris endeuillé des attentats de novembre 2015 (que Hers n’essaie pas de reconstituer à l’identique et c’est heureux) ; c’est un Paris silencieux qui doit accepter la mort des uns, les blessures physiques et psychologiques des autres. En trois plans, Hers suggère l’horreur des attaques, et cela suffit. Ensuite, parce que le film désigne d’emblée David comme un jeune homme solitaire vivant d’expédients. Sa soeur Sandrine est sa seule véritable amie, son père est mort depuis longtemps, il connait à peine sa mère partie à Londres. Son isolement est accentué par la mort de Sandrine. Le film raconte comment il parvient à sortir de l’ornière de la solitude, à retisser des liens avec les autres avec l’aide d’Amanda, et comment en retour Amanda accepte que son oncle l’élève en lieu et place de sa mère. Au fil du récit, ils recouvrent le principal trésor de la vie : l’espoir.
Chacun emprunte un chemin différent pour y parvenir. David extériorise davantage sa tristresse et son désarroi qu’Amanda, qui continue de vivre selon les mêmes rituels, ainsi ce Paris-Brest immuablement englouti à 18h. Hers filme avec beaucoup de sensibilité cette capacité qu’ont certains enfants à garder secrets leurs sentiments, ce qui les rend parfois si difficiles à comprendre pour les adultes. On pourrait presque croire que David a davantage besoin d’Amanda qu’elle d’un tuteur. Mais il n’en est rien, l’adulte n’est pas devenu enfant, ni l’enfant adulte et Amanda ne pourrait vivre sans David. En réalité, elle a si bien intériorisé sa douleur qu’elle s’est fait de la vie une conception fausse où tout lui semble joué d’avance. « Elvis has left the building », cette phrase qui décevait l’espoir des fans attendant que leur idole Elvis Presley se montre, est la clé du film, le résumé de l’attitude d’Amanda. Sa mère partie, comme Elvis, elle n’attend plus personne, elle n’attend plus rien de la vie et David, tout à sa douleur, ne s’en aperçoit pas tout à fait. Amanda commencera à se défaire de cette idée fausse dans une scène magnifique à Wimbledon où une partie de tennis, et les renversements de situation qu’elle réserve, font figure d’allégorie de la vie. Rien n’est jamais joué d’avance. Elvis peut bien partir, il y en aura d’autres.
Comme dans Ce sentiment de l’été, Hers porte une attention particulière aux lieux traversés, qui sont les lieux de vie de la ville où déambulent David, Amanda et les autres, même si l’on marche moins ici que dans le précédent film à cause du poids des attentats sans doute. Fidèle en cela à l’esprit de la Nouvelle Vague, et plus encore à Renoir, il compose des plans le plus souvent en extérieurs qui intègrent les personnages dans leur environnement. Filmant en 35 mm, voire en 16 mm pour certaines scènes, il obtient une image granuleuse éclairée d’une lumière naturelle qui traduit le sentiment flottant, imprévisible, renouvelé, de la vie, comme le sentiment de l’été revenait chaque année dans son film précédent. La mort est un instant, la vie un flux continue. Dans l’environnement urbain, les parcs, les arbres où se voit le passage des saisons, ont sa préférence, et c’est là que plus d’une fois, il ressource son film pour nous le présenter ensuite revivifié. D’ailleurs, l’attentat du film a lieu dans un parc (ce n’est sans doute pas un hasard tant Hers les chérit), blessant la ville dans son coeur. C’est donc d’abord par ses parcs qu’elle doit guérir avant que la guérison ne touche les personnages. L’accompagnement sonore chaleureux des scènes de déambulation (un son de guitare doux et rond) contribue à leur atmosphère apaisante et confère une qualité musicale au temps du récit. Vincent Lacoste est excellent, naturel de bout en bout, mais tous les acteurs apportent leur écot à la réussite de ce très beau film, que ce soit la lumineuse Ophelia Kolb, la discrète Stacy Martin, Marianne Basler, et surtout la petite Isaure Multrier dont le sourire éclaire les derniers plans comme d’un soleil.
Strum
Voilà bien un film qui m’interpelle. Pas tant par son sujet que par la manière dont il semble avoir été traité par Hers. La phrase qui sert de pivot ajoute à cette curiosité.
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Oui, ici, c’est la manière de Hers qui compte comme dans Ce Sentiment de l’été.
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De ce réalisateur je ne connais son moyen métrage Primrose Hill, assez séduisant je dois l’admettre.
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« La mort est un instant, la vie un flux continue », c’est joliment dit. Mais après l’avoir enfin vu, je fais le deuil du film espéré. Grosse déception en ce qui me concerne.
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Merci. Le charme du film est assez evanescent comme souvent pour pour tout film essayant de rendre compte d’un flottement existentiel, de quelque chose d’indicible. J’y ai été sensible pour ma part, le scène finale à Wimbledon, qui résume tout, achevant de me convaincre de la réussite du film.
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Je l’ai trouvée assez maladroite et factice, comme beaucoup de choses dans ce film. Je reconnais néanmoins la belle prestation de la petite Isaure Multrier.
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« Elvis peut bien partir, il y en aura d’autres. »
Ah non, il n’y qu’un seul Elvis!
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D’ailleurs, il est toujours vivant !
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« un excellent Vincent Lacoste »
Certainement, mais le genre d’acteur auquel je ne peux absolument pas m’identifier.
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Je ne crois pas qu’il faille nécessairement s’identifier à un acteur pour apprécier un film. On peut aussi se laisser porter par les images et assister à des destins vécus par des personnalités très différentes des nôtres. Lacoste est très naturel dans le film, du coup on y croit.
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Bonsoir Strum, Lacoste est très bien en effet comme tous les autres acteurs. Vu le sujet, je m’attendais à être plus remuée mais c’est le réalisateur a voulu faire autre chose et même de la légèreté dans un sujet grave, pourquoi pas? Les retrouvailles avec Alison (j’ai mis 3 secondes pour reconnaître Greta Scacchi, la pauvre) n’apportent pas grand-chose où alors je n’ai pas tout compris. Bonne soirée.
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Bonsoir dasola, ce n’est pas vraiment de la légèreté à mon avis, c’est plus une approche où la vie continue malgré tout parce qu’elle ne s’arrête jamais de couler, de se renouveler, comme le montre notre environnement et notamment les arbres. On reconnait Scacchi grâce à ses yeux. David revoit sa mère à la fin justement parce que Hers veut montrer qu’il est plus entouré qu’au début parce que la vie, le désir de vie, est plus fort que les attentats. Merci et bonne soirée aussi.
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Pas encore vu « Amanda » ce qui ne saurait tarder mais je suis Hers depuis ses débuts. Le deuil et la reconstruction sont au cœur de presque tous ses films (je vous conseille vivement « Memory Lane » son premier long »). Je lui trouve un style, une manière, très personnelle et plutôt rare aujourd’hui, à la fois élégante et délicate et c’est un très grand directeur d’acteur. C’est dire si j’ai toute confiance dans ce nouvel opus.
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Oui, je n’ai vu que Ce Sentiment de l’été et celui-ci, mais il a en effet une manière personnelle, chose que je chéris par dessus tout au cinéma. Merci pour le conseil, j’ai bien l’intention de voir Memory Lane si l’occasion s’en présente.
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Je suis d’accord avec vous, on reconnait tout de suite l’image et la « patte » du réalisateur. « Amanda » est peut être la porte d’accès au grand public au cinéma de Mikhael Hers. Un beau film et merci pour votre très bel avis.
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De rien, merci Aurore. Et en effet, le film est un beau succès public (relatif certes).
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Qu’il fait mal et qu’il fait du bien ce BEAU film avec un Vincent qui arrête enfin de faire du Lacoste. Merci au réalisateur d’avoir vu autre chose chez cet acteur que je supportais mal et qui est magnifique et irréprochable ici.
Toutes les filles sont splendides ici, Stacy, Ophélia, Marianne et la miraculeuse petite Isaure.
Et ce film je le porte haut et fort dans mon cœur d’artichaut.
Paris est belle (ou beau ?) et j’avais peur à tous les carrefours pour Vincent à vélo…
Elvis ne quittera jamais le building. C’est bon de le savoir quand le moral est en berne…
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Oui, très beau film avec une interprétation irréprochable. Elvis ne quittera pas le building comme tu dis ou il y aura d’autres Elvis comme je dis, cela revient au même, c’est toujours une question d’espoir placée dans la vie.
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Bonjour Strum,
Ton analyse du film est très fouillée et intéressante. Cet opus de hers ne m’as pas laissé insensible. Je te rejoins dans ton décryptage.
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Bonjour Vincimus et merci ! c’est un film au charme intangible et à l’équilibre fragile, mais si on y est sensible, on y trouvera de très belles scènes.
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bonjour Strum. Vu hier sur Arte. Un trés beau film qui m’a conquis. tous les personnages sont magnifiques et attachants et l’interprétation parfaite. Vincent Lacoste est touchant. J’ai beaucoup mieux apprécié cette légèreté, fébrilité du flux de l’existence dans ce film que dans ce sentiment de l’été qui ne m’avait guère convaincu. J’ai aimé cette pudeur dans le traitement de la tragédie et du deuil des personnages traités sans pathos. j’ai aimé cette lumière impressionniste qui baigne le film. J’ai aimé surtout ce final magnifique au stade de Wimbledon qui semble transcender la douleur intérieure de la petite fille qui découvre que rien n’est perdu…(Elvis..)et que la vie doit continuer.
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Bonjour Jean-Sylvain, oui, c’est un très beau film avec une fin particulièrement réussie. La vie continue en effet. C’est une philosophie à laquelle adhèrent certains guitaristes de rock dont vous êtes spécialistes et qui ont eu plusieurs vies.
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